LVIII - Les Retrouvailles - Deuxième mouvement

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Quand Catena vit apparaître son ancien protecteur, un large sourire illumina son visage. Elle sauta à bas du khaïte d'Ivara pour courir vers lui. Passant les deux bras autour du cou de l'ange, elle nicha sa tête au creux de son épaule. Angelus éprouvait une joie profonde de la savoir sauve, malgré la tristesse qu'il ressentait en songeant que le lien entre eux était rompu à jamais.

« Tu me manques... souffla-t-elle d'une voix presque inaudible. Je sais qu'à présent, je suis libre... Mais j'aurais tant voulu pouvoir l'être... avec toi... »

Il posa les deux mains sur ses épaules et l'écarta de lui, plongeant son regard dans ses yeux sombres :

« Catena... Je veux dire... Solia... »

Il la sentit tressaillir quand elle entendit son véritable prénom, mais il poursuivit malgré tout :

« Nous sommes désormais libres d'être ceux que nous n'aurions jamais dû cesser d'être : Luciellus et Solia. Ange et humaine, et non plus esclaves... Nos amis t'ont prise sous leur aile, mais il n'est pas dit qu'un nouvel Ange veillera sur toi... Nous devenons si rares. Mais quoi qu'il puisse arriver, je serai toujours là pour toi, en tant qu'ami, puisque je ne peux plus être ton protecteur. Et avec mes compagnons, nous trouverons un lieu où tu pourras être heureuse, à l'abri des seigneurs d'altitude et de leurs troupes ! »

Il releva la tête et tourna les yeux vers la forteresse d'où leur parvenaient toujours les cris et les clameurs des combats.

« Il nous faut arrêter cela, d'une façon ou d'une autre. Nous ne pouvons laisser les hommes et les Anges donner libre cours à une haine qui n'aurait jamais dû exister !

— Mais comment comptes-tu t'y prendre ? » demanda Aïzie, incrédule.

Ivara esquissa un léger un léger sourire :

« Faisons comme à Cimes ! Si nous les noyons dans la brume, ils seront plongés dans la confusion. »

Voyant que sa proposition avait capté l'attention de tout le petit groupe, elle s'enhardit et poursuivit :

« Je n'avais jamais vu personne se battre auparavant... J'ignore comment il est possible de se faire délibérément autant de mal ! Mais j'ai observé la façon dont se déroulaient les attaques : les anges fondent sur les hommes pour les frapper, puis s'envolent de nouveau... tandis que les archers les visent pour tenter de les abattre ! Une fois un épais brouillard levé, ils ne pourront plus repérer leurs cibles, ni les uns, ni les autres ! Et ainsi, nous éviterons que ces horreurs se poursuivent ! »

Angelus sentit l'espoir revenir dans son cœur : l'idée était excellente !

« Mais ça ne nous dit pas que faire, une fois que nous aurons fait cesser les hostilités, murmura lugubrement Adessa, qui avait rejoint le petit groupe. Aucun d'entre eux, je le crains, n'acceptera d'entendre raison ! »

Celestia s'avança avec résolution :

« Je suis un ange du Paradis. Ils ne pourront refuser de m'écouter !

— Ils n'ont plus confiance dans le Paradis... objecta Aïzie d'un ton découragé. Ils se doutent que les anges qui y résident les ont abandonnés... Je crains que nous ne puissions faire grand-chose...

— Peu importe l'indifférence que leur porte nos pères... s'entêta l'angelle à la peau corail, ils ont choisi de se révolter pour abattre leurs geôliers, non pour sauver leur chaîne ! Déjà, ils commencent à se ternir ! »

Angelus songea tristement à Lumen... Il espéra que d'une façon ou d'une autre, son ami avait trouvé la paix.

« N'est-ce pas un peu injuste, en un sens, murmura Serafelle, que les hommes ne doivent jamais souffrir de leurs fautes, quand nous autres, les anges, risquons de perdre jusqu'à notre existence si nous nous laissons aller à les imiter ?

— C'est dans la nature des hommes d'avoir une part d'ombre, remarqua Adessa gravement. Si les anges se rapprochent des hommes dans leur façon d'agir, ils se perdent eux même... Mais si les hommes se rapprochent des anges, tels qu'ils n'auraient jamais dû cesser d'être – comme vous tous qui êtes ici – ils se trouvent eux-mêmes... »

Elle leva un regard amer vers le ciel :

« Si, réellement, les anges du Paradis ne veulent rien faire pour faire cesser cette situation, alors, je crains que le Paradis entier ne devienne comme Lumen... »

Angelus songea avec tristesse qu'elle devait certainement avoir raison. Mais hélas, ce n'était pas le moment d'en discuter.

« Je pense que cela vaut la peine d'essayer... Ivara, penses-tu parvenir seule à faire tomber la brume ?

— Elle doit juste entourer la forteresse... Il me suffit, avec Zéphyr, de déplacer quelques courants aériens, quelques nuages aussi... C'est comme une danse, il suffit d'en adapter les pas au ciel qui nous environne. »

La réaction positive de la jeune semeuse rassura l'ange. Il craignait plus que tout autre chose que le découragement ne paralyse les uns comme les autres. Ils étaient trop peu nombreux et dotés de moyens bien trop faibles... Mais cela ne devait pas les empêcher de persévérer.

« Pour ma part, je vais attendre qu'Ivara et Zéphyr aient accompli leur tâche, puis je partirai à la recherche d'Arol. Certes, il doit être à l'abri, mais... »

Il se tourna vers l'angelier, qui se tenait discrètement sur le côté, silencieux, comme pour se faire oublier.

« Peut-être pourrez-vous m'y aider ? Les serviteurs et les soldats du seigneur Arol n'ont pas de raison de se méfier de vous... Il suffit que je trouve un chemin jusqu'à lui. Je n'ai aucune raison de lui faire du mal... Êtes-vous prêt à me faire confiance... ? »

L'angelier regarda la masse des chaînes délivrées, qui, pour la plupart, dardaient vers lui des yeux hostiles, avant de baisser la tête :

« Je suis prêt... souffla-t-il. Mais vous, êtes-vous prêt à me faire confiance ? »

Angelus le considéra gravement : l'homme avait offert beaucoup de signes de bonne volonté. Être passé si près de la mort avait dû changer sa façon de voir le monde. Le jeune ange, après avoir été si longtemps brutalisé par les humains, aurait pu être enclin à la méfiance. Mais Solia était humaine, elle aussi... Tout comme Adessa. Et s'il commençait à trouver en chaque homme un ennemi, comment pourrait-il demander aux autres anges de ne plus en faire autant ?

« Oui, je vous fais confiance. Ivara vous emmènera de l'autre côté du pont, et vous me guiderez jusqu'à la retraite du seigneur Arol. »

L'angelier lui tendit la main : Angelus ignorait ce qu'il devait faire. Il se rappelait vaguement une coutume que les hommes pratiquaient entre eux dans les forts, mais aussi les villages, pour sceller une promesse. Il accepta le geste... C'était étrange de sentir ses doigts fins et blanc disparaître dans cette paume calleuse et rugueuse. Les seuls humains qu'il avait approchés de si près étaient Catena, et Aïzie – qui à la réflexion, n'en avait sans doute jamais été vraiment un – quand il chevauchait avec lui Nuée.

Mais finalement, leur nature n'était pas si différente. Seules leur légèreté, leur résistance particulière et les grandes ailes dans leurs dos démarquaient les anges des humains. Mais tout le reste de leur physionomie demeurait similaire... Ils parviendraient bien à s'entendre un jour ! 

Enfants du Ciel [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant