Chapitre 4

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     Il ne restait que Jahan et l'Amplificateur. Cela faisait des heures qu'ils discutaient. Les enfants, trop curieux, et les adultes, trop impatients, avaient été invités à déserter les lieux. Dans les ruines de ce qui fut une belle maison régnait un silence terrible. Deux êtres, aux longues vies marquées par les épreuves, étaient en train d'échanger et de négocier. Et c'est seulement en fin de journée, juste avant la tombée de la nuit, que le petit être muet quitta les lieux.

Aliya, suivie de ses nombreux cousins, fila vers le vieil homme pour savoir ce qu'il était ressorti de ce dialogue. Mais celui-ci refusa de faire le moindre commentaire devant eux, et ce, malgré leurs nombreuses et bruyantes récriminations. Il se leva simplement de son vieux fauteuil, chuchota à l'oreille de la mère d'Aliya, puis, se retira. Après un regard entendu, les adultes réunirent leurs enfants, et chacun rentra chez soi.

Aliya était hors d'elle. Elle voulait savoir ! Qu'avaient décidé les deux doyens ? Etaient-ils tombés d'accord ? Leur seule chance venait-elle de partir en fumée ? Personne ne daignait lui répondre ! Aussi, lorsque ses parents l'appelèrent pour le dîner, elle s'enferma dans sa chambre et décida de ne pas en ressortir de si tôt ! Mais, malgré cette résolution, elle ne put réprimer sa faim. Alors, devant les borborygmes incessants de son estomac affamé, elle prit la décision d'aller chiper quelques restes à la cuisine. Elle se faufila hors de la pièce, longea le minuscule couloir qui menait vers la salle à manger, et se glissa dans la cuisine. Découvrant une miche de pain entamée et toute chaude sur la petite table, elle se lécha les babines et s'approcha de cette nourriture fumante. Mais, distinguant le son de la voix de ses parents, elle se figea net. S'ils la voyaient, ils la taquineraient sur son manque de détermination et elle serait bien obligée de repartir le ventre vide pour conserver un semblant de dignité. Elle resta là quelques instants, immobile et en apnée. Elle entendit ses parents passer sans s'arrêter. Ils étaient en grande discussion. Elle s'apprêtait à souffle de soulagement lorsqu'elle entendit sa mère parler d'un rendez-vous derrière la barrière au troisième coup de carillon. Etait-ce à ce moment que grand-papa allait tout leur révéler ? Comment pourraient-ils passer derrière la barrière ? Une chose était sûr, elle ne dormirait pas beaucoup cette nuit !

De retour dans sa chambre, la jeune fille se prépara pour son escapade. Elle commença par griffonner un mot et à l'attacher sur le dos d'une loutrille qu'elle envoya chez Bohdan. Cela faisait quelques temps qu'ils s'entrainaient en cachette tous les deux. Le moment était venu de mettre cet entrainement à profit ! Ensuite, elle s'enveloppa d'une cape sombre et élimée afin de se dissimuler du mieux possible dans la nuit. Enfin, elle enfila ses chaussures, et se posta près de sa commode.

Lorsque deux yeux ronds apparurent dans l'un des interstices du mur face à elle, elle tendit la main et une petite créature grise s'y logea. Autour de son cou était attaché une mince ficelle bleue. Bohdan serait au rendez-vous. Aliya déposa le rongeur près de son lit, lui donna deux graines, puis, s'installa de nouveau devant sa commode pour attendre les deux coups et demi.

Le moment fatidique arriva. Elle poussa doucement sa commode afin de la décaler légèrement, ce qui eut pour effet de faire apparaitre une trappe sur le sol. Elle tira brutalement sur la chaine attachée à son cou et en dégagea une clé qu'elle utilisa pour ouvrir le passage. Elle se glissa ensuite par l'entrebâillement et descendit l'échelle en bois qui reliait la maison au sous-sol. A partir de là, elle avança silencieusement vers le point de rendez-vous, les mains en avant afin de détecter un éventuel champ de force magique.

Elle avait parcouru les trois quarts du chemin qui la séparait de son cousin lorsqu'elle ressenti un léger picotement dans les doigts. Lorsque la sensation se répandit à ses avant-bras, elle s'arrêta. Elle passait sans arrêt par ce chemin et cela ne lui arrivait jamais. Le périmètre de la barrière avait-il encore été réduit ? Ou bien, était-elle repérée ? Tendant à nouveau le bras, elle balaya l'air devant elle et constata qu'elle ne ressentait plus rien de dérangeant. Elle se remit donc en route, mais d'un pas plus lent cette fois. Elle espérait que son cousin l'attendait au même endroit que d'habitude car se déplacer seule dans ces sous-terrains sombres et humides l'effrayait un peu. Soudain, un élancement brutal dans la poitrine stoppa net le cours de ses pensées. La surprise fut si grande et la douleur si puissante qu'elle trébucha et se rattrapa de justesse au mur. Que se passait-il avec la barrière ? Le champ magique était-il perturbé ? Ses parents étaient-ils en train de le franchir ? Etaient-ils en danger ? Elle prit quelques secondes pour reprendre son souffle et se remit en route. Mais, loin de s'effacer, la douleur s'intensifia. Elle hésitait, lorsqu'elle entendit un cri étouffé. Il y avait un problème ! Il ne lui restait plus que quelques dizaines de mètres à parcourir avant de rejoindre son cousin, alors elle se mit à courir, espérant qu'il pourrait la protéger. La douleur se répandit à tout son corps, mais elle ne pouvait plus faire demi-tour, ni attendre une quelconque amélioration en marchant tranquillement. La meilleure issue possible pour elle était de rejoindre Bohdan avant qu'elle ne soit repérée car il était trop tard pour faire demi-tour. Encore quelques petits mètres et elle y serait. Elle haletait, avait tout le corps engourdi, mais elle tenait bon. Cependant, des bruits commençaient aussi à se faire entendre au-dessus d'elle, les cris prenaient en intensité, et elle craignait que les gardiens ne se soient mis à détecter son signal et à la chercher. Bientôt, elle ne pourrait plus bouger et ils finiraient bien par comprendre que des souterrains passaient sous la ville et qu'ils étaient utilisés ... Elle arriva finalement au lieu du rendez-vous, mais elle était définitivement seule. Aucune trace de Bohdan ... Aucune possibilité de se cacher ... Aucune chance de leur échapper ...

A bout de forces, et malgré toute sa volonté, elle tomba à genoux. Tout à coup, le son des pas devint plus net et plus fort. Pour son plus grand malheur, ils se précipitaient vers elle, elle les entendait ! Alors, sans réfléchir, et dans un ultime réflexe, elle tenta le tout pour le tout et rassembla ses dernières forces afin de tenter de créer un portail pour s'enfuir. Un soupçon de particules d'espace se mit à briller et tournoyer dans les airs, créant un début de cercle imparfait. Le lieu qu'elle visait commença à se matérialiser et une pointe de soulagement naquit en elle. Puis, tout à coup, ses efforts furent réduits à néant et son semblant de portail disparu. Au même instant, elle fut enveloppée d'une chaleur salvatrice qui la soulagea de sa douleur. Deux bras l'entourèrent, et ce fut le silence et le noir total. Les bruits de pas au-dessus de sa tête s'éloignèrent rapidement, et les cris laissèrent place à de faibles gémissements. Toute tremblante et transie de peur, elle leva la tête vers son sauveur. Bien évidemment, c'était Bohdan qui la tenait dans ses bras. Elle explosa.

– Tu avais l'intention de me faire repérer, espèce de crétin ?!, s'emporta-telle en le repoussant.

– Oh ! Elle a dit crétin !, s'amusa Oihan qui était jusque-là, resté caché derrière Bohdan.

– Qu'est-ce qu'il fait là ?!, siffla-t-elle, mauvaise.

– Il m'a suivi sans que je ne m'en rende compte. Tu te doutes bien que je l'aurais renvoyé chez lui sinon.

– Pff ... C'est bien la peine d'avoir un si grand pouvoir et de ne même pas remarquer un gamin derrière soi.

– Aliya, ne sois pas désagréable.

– Il a tout fait capoter ! N'as-tu pas entendu le troisième coup ? C'est trop tard maintenant !

– C'est quoi capoter ?

– Ce n'est rien mon grand. Ecoute petit chat, ce n'est pas si grave. Nous finirons bien par savoir ce qui s'est dit aujourd'hui. Il n'y a pas d'urgence.

– Pas urgence ? Il n'y a pas urgence ?! Est-ce que tu plaisantes Bohdan ? N'as-tu pas entendu ces cris horribles ce soir ? Et les pas au-dessus de nos têts ? As-tu Tu as vraiment l'intention de d'attendre alors que l'on pourrait faire évoluer les choses ?

– Qu'est-ce qui va changer ?, interrogea le garçonnet.

– Ta face de minus si tu continues de poser des questions !

– Aliya !

– Bohdan ?!, s'irrita-t-elle.

– Si tu continues sur ce ton, je laisse tout tomber et tu te débrouilleras toute seule. Je t'arrête tout de suite, pas la peine de m'interrompre pour me parler de tes grands principes. Je sais très bien à quoi tu penses, et j'ai un espoir, aussi infime soit-il. Mais, si tu souhaites entreprendre quelque chose, tu auras besoin de la famille. Alors, il va falloir que tu apprennes à te maitriser et à garder ton calme, sinon tu ne seras qu'un fardeau pour le groupe.

– ...

– Et maintenant, tu ferais mieux de rentrer chez toi pour réfléchir à tout ça. Bonne nuit Aliya.

Sur ces mots, il s'empara délicatement de la main du petit garçon et tourna les talons. Folle de rage et sous le choc, la jeune fille reparti en sens inverse. Bohdan, de son côté, expliqua au garçonnet qu'il ne devait plus le suivre en cachette car ça aurait pu être très dangereux pour tout le monde. Et, de fait, ils avaient failli être repérés ce soir. Ce qu'ils ignoraient, c'est que c'était l'Amplificateur qui avait attiré l'attention des gardes ce soir-là ...

La fille du VentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant