Chère mémé,
Je ne sais pas si tu es en mesure de lire ces lignes et de réellement les comprendre. Je ne sais pas si elles dansent devant tes yeux, dessins dénués de sens à l'encre noire. Tu vois...je voulais prendre de tes nouvelles. Mais je ne savais pas trop comment m'y prendre. Je sais bien que la technologie c'est pas trop ton truc, encore moins ces derniers temps.
Et puis j'avais peur.
Peur de t'appeler et d'entendre ta voix chevrotante au téléphone, hésiter. Prononcer le prénom de Lise avant de retrouver le mien. Je t'aurais laissée dire, de toute façon.
Ou pire, peur que tu me raccroches au nez après un sec :"Je ne suis pas intéressée", comme lors d'un démarchage téléphonique. Je sais aussi bien que toi à quel point c'est insupportable. Alors, tu me diras...j'aurais pu venir en personne...Mais, je ne l'ai pas fait.
Pourquoi ?
Pour trois raisons.
Déjà parce que je vis à Lyon et que de Lyon jusqu'à Lille, ça fait une sacrée trotte, même si on prend l'autoroute. Je suis suffisamment fatiguée comme ça.
Mais aussi et surtout parce que je suis lâche.
Tu es ma grand-mère, ma mémé, mon aïeule...mais je ne suis pas fichue de te regarder en face. Voir cette tristesse et cet égarement dans ton regard me flanque la chair de poule. Ça me fait mal. De savoir que tu n'es plus que l'ombre de toi-même, comme l'un de ces disques vinyles qu'on utilise plus et qui sont voués à disparaître. Mémé...je ne veux pas que tu disparaisses. Je sais que la grand-mère que j'ai toujours connue, celle avec qui je partage de bons souvenirs et de franches rigolades est toujours là, au fond. Mais j'ai beau creuser, nous ne nous retrouvons pas.
Un jour, je t'avais demandé pourquoi tu étais aussi croyante, quel soulagement tu pouvais trouver dans un dieu impalpable et inaudible. Et tu m'as regardé, débordante d'amour et d'une candeur hors-norme : "Parce que, mimine, quoi que tu fasses, le Seigneur est là, plein de compassion et de tendresse à ton égard. Quoi que tu subisses, il ne t'abandonne jamais, malgré les épreuves. Tu peux toujours compter sur lui, te confier à lui. Il est la source de tout espoir."
Et puis, j'ai grandi et je ne comprenais pas plus. Je me disais que l'espoir était bien vain, bien illusoire dans certains cas. Comme pour ta maladie du nom d'un sympathique médecin allemand. Toi qui n'as jamais su pardonner aux Boches de t'avoir pris ton père...Non, l'espoir ne servait à rien qu'à accentuer un peu plus la douleur de la fin. Mieux valait se résigner dès le début.
Alors, je me suis comportée horriblement. J'ai cessé de venir te voir, de t'appeler, de t'envoyer des lettres. J'ai laissé parler ma fatalité et je ne t'ai pas soutenue, malgré tout ce que tu traversais. Malgré ce que disaient les docteurs, que le soutien affectif des proches était très important. Je t'ai laissée livrée à toi-même, face à ta lente régression, seule, dans ta grande maison.
Comme si un esprit morcelé ne suffisait pas, je m'en suis prise, lâchement, à ton coeur.
A présent, je sais que j'ai eu tort. Je sais bien que la vie et la famille sont deux choses qui n'ont pas de prix mais redoutant la fin de l'une, j'ai abandonné l'autre. Il est peut-être, sûrement, trop tard pour revenir sur mes pas. Trop tard pour t'assister, te réconforter. J'aurais aimé venir une semaine, peut-être deux. Savourer avec toi la chaleur de l'été, t'aider à prendre soin de tes bégonias, patiemment, comme on l'explique à une enfant...Mais je ne t'ai envoyé que cette lettre.
Peut-être que tu ne te souviens même plus de ce jour, à l'ombre du grand chêne du jardin, où tu m'as parlé d'amour et d'espoir. Alors j'aimerais que cette lettre te le rappelle. Te rappelle de lutter, de tisser des liens. De profiter de chaque seconde malgré ce chaos dans ton cerveau, malgré les oublis et les confusions.
Je t'ai parlé de trois raisons à l'existence de cette lettre. Mais je ne t'en ai donné que deux.
La vérité c'est que je suis tombée malade. Rien de grave, mémé, ne t'inquiète pas. Un petit cancer en phase terminale. Je vais bientôt rejoindre le Seigneur, sûrement avant toi. Sois sûre que je n'oublie pas les paroles que tu as eu ce jour-là, mémé, et que depuis de nombreuses années elles m'ont servi de philosophie. Parce qu'après tout, l'espoir fait vivre. C'est la seule chose qui peut toujours nous sauver. La seule chose qui ne nous abandonne jamais et ce peu importe les épreuves. Je sais que c'est trop dur de te demander de t'en souvenir alors simplement...penses-y, mémé...Garde espoir. Et quand le Seigneur t'accueillera au paradis, je serais derrière lui, bien derrière, en retrait. Et je sourirais, malgré les larmes de bonheur et là, mémé, tu comprendras que tu auras enfin retrouvé ta mimine.
Noémie (ou Lise si tu préfères)
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