Une histoire d'Espoir

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   Elle marchait dans la rue, abattue.

Mais qui était cette « elle » ? Elle était une chêtive jeune fille, âgée d'une quinzaine d'années, à l'apparence toute commune : Yeux bruns craintifs, cheveux mi-longs, jean et t-shirt accompagnés d'une indémodable paire de baskets blanches. On ne pouvait faire plus ennuyeux.

Ainsi, elle aurait pu passer pour une jeune fille ordinaire et ce récit pour le quotidien d'une morose adolescente, saupoudré de niaiserie et de romance bon marché. Mais on ne pouvait faire plus éloigné de la réalité.

Rien n'était ordinaire chez Espoir, si on ommettait son apparence physique.

À commencer par son prénom.

Mais il nous faut prendre en compte une autre donnée importante, négligée jusqu'ici :

« Elle marchait dans la rue, abattue », nous dit le récit.

Elle ne se contentait pas de marcher, non, elle était abattue.

Mais pourquoi Espoir était-elle abattue ?

La cause en était une lettre, un simple bout de papier qu'elle froissait, tordait et trouait au fond de sa poche de jean, sous le coup de l'anxiété.

Sa dernière chance.

La lettre, elle l'avait reçue le matin-même et l'avait suffisamment lue pour en imprimer chaque virgule mentalement au point d'en voir danser les caractères noirs quand elle fermait les yeux.

C'était un ordre de mission.

Sûrement pas le premier.

Peut-être le dernier...

Non, Espoir n'était pas une fille ordinaire, une adolescente frivole dont l'angoisse se limite à un zéro en maths ou à l'échancrure de sa robe. Espoir avait pour cadeau l'éternité et pour angoisse l'oubli. Elle voyageait de par le monde à sa guise, dansait sur les glaciers, plongeait dans les abîmes, sans aucune crainte. Elle avait quinze ans aujourd'hui et pour toujours. Elle ne pouvait pas mourir.

Oui, Espoir vivait plus libre que quiconque à condition de protéger le monde et d'aider les humains, toujours dans l'ombre à l'instar de ses semblables, au nombre de trente. Ils disaient s'appeler les Anges Gardiens, les Ethérés ou les Protecteurs et avaient autant d'appellations différentes que le feu ou la pluie. Mais celle qui revenait le plus souvent était « fées ». Ce nom fut tant prononcé et entendu qu'il tomba dans l'imaginaire collectif sans que nul ne sache vraiment à quoi il correspondait. En réalité, il s'agissait de l'acronyme de Faiseurs d'Euphorie Eternelle, un nom si vieux que, même parmi les FEEs, on ignorait qui l'avait inventé.

Il était probable que ce fut Peter Pan. Celui qui se faisait appeler ainsi aimait s'entourer de mystère. Il semblait que c'était lui qui avait « créé » les FEEs et par conséquent, il avait un rôle important dans leur organisation. C'était lui aussi qui attribuait les missions. Cependant, il était très improbable qu'il fut le fondateur de tout ceci, l'organisation existant depuis des lustres. À moins que Peter Pan ne partageât avec son homonyme l'immortalité...

Espoir était donc une FEE, chargée de prodiguer espérance à tous ceux contre qui le sort s'acharnait, tout comme Foi était chargée de remplir les âmes de conviction et de confiance et Courage devait leur donner la force de se battre.

Pour ce qui était de nommer ses FEEs, Peter Pan manquait cruellement d'imagination.

Espoir s'acquittait de ses missions avec zèle et sans faillir. Elle adorait jouer un rôle dans le quotidien des humains, sauver une vie, faire vivre un rêve...Mais voilà. L'espoir n'était qu'une petite valeur qui ne faisait pas le poids face à la Sagesse ou à l'Ambition, par exemple. Elle n'était utile qu'en dernier recours, quand tout était perdu, telle la dernière faible lueur dans les ténèbres denses. Et c'était l'avis de tous, y compris de ses collègues FEEs. Ils ne la dénigraient pas ni ne l'insultaient, non, ils se contentaient de l'ignorer. Mais c'était suffisamment blessant. Espoir avait constamment l'impression d'être une intruse, une enfant dans la cour des grands–à proprement parler aussi d'ailleurs puisque tous les autres FEEs la dépassaient d'au moins cinq ans. Elle s'était dit qu'elle s'habituerait mais elle n'y parvenait pas. Et, peu à peu, lui arrivait le pire qui puisse arriver à un FEE : elle sombrait dans l'oubli.

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