4. Sous les fleurs de cerisiers d'un Osaka en fleurs.

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Un pull rouge. Akémi adorait le pull rouge à capuche qu'il portait sur le dos en guise de blouson. Sa couleur était éclatante et s'accordait bien avec le blanc de son pantalon et de ses baskets. Lui-même trouvait que ces vêtements lui allaient bien. Le front collé à la vitre du train, il n'y avait de toutes manières pas grand-chose d'autre que son look qui lui traversait l'esprit. Cela faisait une demi-heure qu'avec sa classe, il avait quitté Kyoto – une ville qu'il adorait – pour se rendre à Osaka. Il ne restait plus guère que cinquante minutes de trajet, et sa console était au fond de son sac à roulette. Allez la chercher sur le porte bagage le fatiguait rien que d'y penser. Il trouvait plus agréable de regarder défiler le paysage avec un peu de musique dans les oreilles. Cette musique... Ce bruit de piano doux qu'il adorait tant et qui lui faisait songer à un poème qui n'avait pas quitté ses pensées depuis qu'il l'avait redécouvert l'été dernier.

L'hiver avait été rigoureux. Cette année, personne ne lui avait offert de chocolats. Ce n'était pas bien grave. Il s'était fait un nouvel ami en la personne d'Ydaï, ce qui suffisait bien à son bonheur. Traîner avec le loufoque de service le rendait presque transparent, un avantage certain pour survivre en milieu scolaire. Et puis, son camarade était d'une abnégation remarquable dans sa volonté de déchiffrer le fameux poème. Pas une semaine ne pouvait passer sans que ce dernier n'arrive avec de nouvelles idées en tête. Même si, la plupart du temps, elles n'avaient aucun sens, Akémi appréciait de les recevoir. Plusieurs fois, il avait invité Ydaï chez lui, souvent pour discuter ou simplement pour jouer aux jeux vidéo. Il y tenait, à son club de chercheur d'or, même s'ils n'étaient que deux membres et demi à en faire partie. Il fallait bien avouer qu'à côté, Akito n'était pas des plus motivés.

Leur relation était sans doute ce qui avait le plus énervé le Franco-japonais. Non pas parce qu'ils s'étaient pris le nez ou parce qu'Akito grognait sans cesse – ça, il aimait même plutôt bien –, mais plutôt parce que leurs échanges en dehors du base-ball ressemblaient à un encéphalogramme plat. Akito écoutait les discussions à propos du poème d'une oreille distraite, demandant parfois des nouvelles mais n'apportait jamais la moindre idée nouvelle et il n'avait accepté qu'une seule invitation à manger un week-end, faute il est vrai d'avoir été convié plus souvent. La joie d'Akémi de le recevoir avait en plus été de courte durée : le Vietnamo-japonais avait passé plus de temps à parler à Cécile qu'à jouer avec lui et Ydaï. Cela l'avait particulièrement frustré. Si encore sa sœur avait voulu faire partie de son club de chercheurs d'or, encore, il n'aurait rien dit, mais la jeune lycéenne n'avait aucune envie de se pencher sur les délires littéraires d'un jeune brun d'un an son cadet avec qui elle avait eu la bêtise de sortir un temps au collège avant de se faire jeter comme une malpropre.

Le pire, peut-être, avait été lorsqu'elle avait compris que son petit frère en était plus amoureux qu'elle ne l'avait jamais été. Elle s'était sentie étrange, presque salle, sans bien savoir pourquoi. Était-ce parce qu'elle n'assumait pas de s'être comportée comme une gamine ? Ou alors avait-elle simplement été jalouse d'Akémi, qui avait réussi à nouer des liens qui lui échappait ? Elle n'en voulait pourtant pas à son frangin d'avoir une attirance marquée pour les garçons. Elle trouvait cela au contraire plutôt mignon. Il aurait pu craquer sur n'importe qui d'autre, cela n'aurait posé aucun problème. Mais Aaron...

Cela lui avait du coup fait un parfait sujet de discussion avec Akito. Ils possédaient la même aversion pour le même personnage. C'était sans doute parce qu'Akémi avait très mal pris leurs rires complices qu'il n'avait pas réitéré son invitation et s'était mis à bouder pour plusieurs semaines, même si cela lui avait coûté. Il préférait simplement de loin être triste plutôt que jaloux.

La brouille avait duré jusqu'à la fin mars et un match de baseball, juste avant le voyage dans le Kansai. N'ayant plus manqué un seul entrainement, les deux adolescents avaient été autorisés par leur coach à réintégrer l'équipe à leurs postes habituels. Bien que piètre batteur, Akémi combinait suffisamment bien avec Akito en tant que receveur pour apporter un vrai plus au groupe. L'avantage de communiquer par signe était qu'ils n'avaient pas besoin de se parler. Et à force de jouer ensemble, ils arrivaient facilement à feinter les attaquants adverses. Cette bonne entente sportive ne faisait pas l'affaire du capitaine de l'équipe, Jean. Nommé suite au désaveu d'Akito, le collégien ne supportait pas d'être relégué en première base et en lanceur remplaçant alors qu'il se considérait comme le membre principal du club. Mais plutôt que de le crier trop fort et risquer de perdre son rang pour mauvais esprit, il avait sournoisement monté un à un ses camarades contre cette paire qui se fichait bien de la réussite collective. En cause, surtout, les faiblesses d'Akémi en attaque. Sa manie à se prendre toujours trois Strikes d'affilé quand il ne frappait pas la balle en cloche pouvait sans peine justifier une remise en cause de sa titularisation. Mais Akito ne supportait de lancer à aucun autre receveur. Seul Akémi trouvait grâce à ses yeux. Seul Akémi ne râlait jamais quand il refusait un signe. Seul Akémi avait d'assez bon réflexes pour récupérer les balles déviantes. Seul Akémi trouvait toujours les meilleures stratégies pour déstabiliser les batteurs adverses. Leur batterie était de loin la meilleure que le coach avait expérimentée en des années d'entrainement. Jean haïssait cette situation.

AkémiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant