1. Le départ d'Aaron

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Sa musique d'animé préférée dans les oreilles, Akémi s'était jeté à l'aube dans un des premiers trains de la ligne Keikyu. En ce début juillet fort doux, il y avait une chose que le jeune collégien ne voulait pas manquer. Bercé par le mouvement de son wagon sur les rails, il somnolait les poings serrés en repensant à ce qui l'avait amené jusqu'ici. Il était triste, fatalement. La mélodie qui s'emparait de son esprit était emplie de nostalgie. Quelle idée, aussi, que de l'écouter en boucle !

Tout avait commencé des années plus tôt. Le Japon était son pays. Il n'y était pas né, mais il y avait vécu plus de la moitié de sa vie. Son père était Français, sa mère Japonaise. Il possédait les deux cultures, maitrisait les deux langues et aimait les deux gastronomies. Après avoir suivi son CP sur la terre de Voltaire, ses parents avaient déménagé vers la contrée de Murasaki Shikibu. Il était profondément Candide. Son Genji à lui se nommait Aaron.

Installés au pays du soleil levant, ses parents avaient fait le choix de lui donner ainsi qu'à à sa sœur Cécile, d'un an plus âgée, une éducation scolaire européenne. Il était plus sage de continuer ce qui avait été commencé, et personne ne savait alors que la petite famille resterait bien plus longtemps en terre nipponne que les deux années prévues dans le contrat d'expatriation qu'avait signé son géniteur avec l'entreprise qui l'employait. Tous s'y étaient plutôt bien accommodés, même si Cécile regrettait fermement Paris, ses magasins et sa pâtisserie. Inscrit au primaire dans le lycée Français de Tokyo, le jeune garçon y avait suivi toute sa scolarité jusqu'à cette fin de cinquième. Cela n'avait été qu'en sixième qu'il s'était retrouvé dans la même classe qu'un petit Gaulois aux cheveux profondément noirs. Ce dernier l'avait tout de suite emmerdé. Il s'appelait Aaron.

Huit heures quinze... Akémi avait encore un peu de temps avant le grand départ. Il préférait être en avance. Il avait quelque chose d'important à lui remettre et ne voulait prendre aucun risque. Les yeux clos, il soupira. Encore quelques minutes avant que son train n'arrive à l'aéroport. Un léger sourire crispé s'afficha sur ses lèvres, à l'indifférence générale des salarymen en route vers de nouvelles aventures bureaucratiques.

Depuis sa tendre enfance, Akémi avait toujours été plutôt douillet, à l'inverse de sa sœur, un véritable garçon manqué. Il ne l'avait pas choisi. Au primaire, sa douceur et sa gentillesse avaient poussé la majorité de ses professeurs et camarades à le surnommer « Aké-chan ». Au collège, cette appellation était restée. Là où les autres élèves garçons avaient droit à du « -kun » après leur nom ou prénom, son identité était restée attachée à cette particule réservée normalement aux filles et aux petits enfants. Cela ne le dérangeait pas vraiment. Cela faisait longtemps qu'il avait compris qu'il était différent. Certains tombaient amoureux des filles, d'autres des onigiris, et certains mêmes des mangas et anime. Lui, c'était des garçons. Il l'avait caché, pourtant, sauf à sa famille. Il s'en prenait déjà suffisamment plein la tête en temps normal pour en rajouter en public, surtout dans ce pays où les bandes dessinées étaient étrangement toujours plus tolérantes que la société.

La sixième avait été douloureuse. Ce foutu Gaulois n'y avait pas été pour rien. Akémi était un poussin, Aaron avait tout d'un coq. Dans la basse-cour, seuls ceux qui gonflaient leur plumage étaient respectés. Akémi était du genre à les admirer.

Huit heures vingt-cinq. Le train entrait enfin dans la gare de l'aéroport Haneda. Le collégien était clairement en avance. Utilisant son smartphone comme miroir pour se recoiffer, il scruta chaque parcelle de son visage. Il était quand même sacrément mignon, quand on prenait le temps de l'observer. Sa peau ambrée, ses yeux de chat en amandes légèrement plissés et ses fins cheveux noirs qui lui tombaient sur le front et la nuque... Tout dans son physique le faisait passer pour un parfait petit nippon, 100% naturel. Avec son t-shirt rempli de kanjis et de personnages de mangas, il se fondait parfaitement dans la masse. Pourtant, certains traits trahissaient ses quelques origines européennes. Son visage avait une forme moins cassante que celle de nombres de ses concitoyens. Sa bouche, malicieusement rouge, se détachait de ses autres traits. Son nez était plus fin et allongé que celui de ses compatriotes. Ses mains plutôt blanches et ses iris noisette trahissaient même son sang français, pour ceux qui avaient la chance de les observer de près. Cette tête adorable, il aurait voulu l'offrir à celui dont il était tombé amoureux. Se passant les doigts sur les lèvres, il soupira. Ce baiser qu'ils avaient échangé serait bientôt tout ce qu'il lui resterait. Il ne voulait pas pleurer. Pour ça, il préférait attendre que l'avion décolle.

AkémiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant