Chapitre 2 : L'amphithéâtre Richelieu

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Lorsque je m'apprêtais à aller à mon premier cours de l'année universitaire, j’aperçus près de l'amphithéâtre Richelieu l'étudiante de tout à l'heure. Elle demeurait seule et semblait ne connaître aucun élève de l'établissement hormis ceux de sa promotion. Je me tenais non loin d'elle, attendant patiemment un collègue. Ce qui importait, c'était qu'elle soit entrée dans l'établissement malgré la réticence des agents de sécurité. Je ne tolérais hélas aucun retard à mes cours.

A présent je scrutais anxieusement autour de moi mes élèves. Il m'était important de donner une bonne impression à mes étudiants. C'était comme un défi à relever. Clemenceau disait « Il faudra soit se soumettre, soit se démettre ». Je refusais intérieurement de laisser l' angoisse m'envahir. Il fallait penser que le cours se déroulerait bien si je respectais mon habituelle façon d'être avec les élèves. J'étais inquiet mais déterminé.

C'était la première fois que j'enseignais dans l'amphithéâtre Richelieu, celui-ci étant habituellement réservé aux étudiants en lettres et aux concerts de musique. Il était de conception différente de celle des autres amphithéâtres de la Sorbonne puisqu'il était rond. On pouvait remarquer également les somptueuses boiseries de la fin du XVIe siècle qui ornent la salle et les peintures épurées demeurant sur les murs. Je n'avais pas pu espérer mieux.

Mon entrée dans l'amphithéâtre ne se fit guère remarquée. En effet, depuis deux ans, les étudiants en histoire savaient que j'enseignais l'histoire ancienne au troisième années. Hors, c'est moi qui fut surpris. Tantôt je m'installais sur le bureau qui était sur l'estrade, je constatais que l'effectif des historiens avaient considérablement faibli depuis l'an passé. Une centaine d'élèves étaient répartis dans cet immense l'amphithéâtre. Habituellement, les troisièmes années dépassaient plus de trois cents étudiants.

- Bonjour à tous, je suis monsieur Verrier. J'insiste en précisant qu'il s'agit bien ici du cours 303 sur la civilisation grecque.

Mon regard s'attarda sur un groupe d'étudiants dont je pouvais apercevoir les livres de science sur les tables. Ceux-ci furent d'abord étonnés, puis sous mon ton menaçant, quittèrent précipitamment les lieux. Des rires s'élevèrent mais disparurent aussitôt au son de ma voix qui se voulait non pas sévère mais plus rigoriste.

- Je tiens à préciser comment se déroulera ce cinquième semestre, annonçais-je dans le micro tout en commençant à arpenter l'amphithéâtre

Je ne pouvais me contenter de rester assis passivement à mon bureau comme la plupart de mes collègues. M'approprier la salle et les élèves étaient essentiel pour moi. Je tenais à capter leur attention.

- Vous aurez deux notes cette année, continuais-je, m'étant arrêté pour réprimander un élève qui bavardait bruyamment, tout d'abord une note en exposé qui comptera cinquante pour cent de votre note finale, et enfin le partiel en lui-même. Je ne peut qu'insister et vous répéter comme vous l'aurez compris, que la note de votre exposé est déterminante pour valider ma matière.

Les regards maussades de mes étudiants s'échangèrent entre eux. Je ne pouvais m'empêcher de réprimer un sourire.

-Bien.

Je retournais m'asseoir derrière mon bureau.

- Comment se fait-il que vous soyez-si peu ? Demandais-je soudainement avec curiosité en observant les places vides de l'amphithéâtre

Des voies de mécontentements s'élevèrent dans la salle. Un étudiant prit la parole sur un ton désinvolte.

- C'est la faute de Barthelemy ça, il nous a mis un sujet de merde au partiel !

- Ouais, t'as raison Rémi. Un tiers de la promo' ne l'a même pas eu au rattrapage tellement c'était dur, s'exclama une autre élève

- S'il vous plaît, du calme. Votre nom jeune homme ?

- Rémi Lesec monsieur.

- Monsieur Lesec, on dit Monsieur Barthelemy je vous prie.

Des rires s'élevèrent à nouveau dans l'amphithéâtre.

- Voyons, je ne pense pas que ce soit la faute de monsieur Barthélémy si la classe est moins nombreuse que l'année dernière.

Ces étudiants ne pouvaient accuser selon moi un médiéviste aussi renommé que Dominique Barthélémy. Sa carrière professionnelle inspirait de nombreux doctorants. Il était le directeur de thèse le plus convoité, non seulement pour avoir réalisé de grands travaux mais il est aussi spécialiste en anthropologie historique. Je fus obligé par la suite de rappeler à l'ordre les étudiants qui demeuraient particulièrement agités après cette discussion animé. Quand mon cours débuta, je remarquais qu'ils étaient malgré tout attentifs et sérieux.

Lorsque mon cours magistral se termina, je me précipitais jusqu'à la station de métro la plus proche. J'étais pleinement satisfait de mes jeunes étudiants. Le sourire béat aux lèvres, j'étais imprégné dans mes songes lorsque je montais dans le R.E.R. Enseigner n'est pas seulement une profession que j’exerce. C'est une dévotion à veiller à l'apprentissage et à la réussite des élèves.

Alors que je m'asseyais dans le métro, mon regard s'attarda quelques secondes sur un visage familier. Il s'agissait une fois de plus de Marie Garnier. J'ignorais la raison pour laquelle mon regard était intrigué par cette élève. Peut être à mes yeux semblait-elle différente. Cette jeune femme n'était pas céleste. Non, elle avait simplement quelque chose en plus des autres femmes qui m'avait été donné de rencontrer dans ma vie sentimentale. Plutôt de grande taille, la posture droite, je savais pertinemment qu'elle dépassait mon mètre quatre vingt-cinq avec une paire de talons. Son visage était attrayant et jamais auparavant je n'avais pu plonger mes iris dans un tel océan de couleurs.

Lorsque je l'avais rencontré à l'extérieur de l'établissement, j'avais pu apercevoir dans ces prunelles perçantes du bleu azur, du gris, ainsi que du vert. Sa peau mordorée paraissait briller. Quant à ses lèvres, bien qu'elles demeuraient fines, elles étaient dessinées comme il le fallait. Sa longue chevelure dorée légèrement bouclée tombait harmonieusement en cascade le long de son dos. Au premier coup d’œil, je situais avec incertitude son âge entre dix-huit et dix neuf ans. Des traits aussi innocents me paraissaient guère avoir dépassé la vingtaine.

Cette jeune élève se dissipa progressivement de mes pensées. A tel point qu'elle réapparut seulement lors de mon second cours en sa présence. Elle se tenait à l'écart des autres élèves et était placée aux premières places de l'amphithéâtre Richelieu. Je pouvais entrevoir dans son sac quelques ouvrages. A première vu je pouvais diriger mon opinion sur une élève sérieuse.J'ignorais pourquoi j'avais aussi rapidement retenu son prénom et nom de famille. Quelque chose m'échappais et je savais que je ne pouvais guère répondre à mes propres questions.

L'enseignantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant