Chapitre I

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« La peur nous paralyse souvent, elle nous empêche d'aimer. »  Roland Poupon


Face au miroir elle observe chaque millimètre de son visage pâle, cachant chaque imperfection sous une couche de maquillage. Puis elle accroche des extensions à ses beaux cheveux bouclés teintés en blond. Met des lentilles d'un bleu étincelant qui font briller son visage sous la lumière tamisée de la salle de bain. Elle dispose des faux ongles et des faux cils pour se rassurer de sa prestance. Elle redessine ses sourcils pour se donner un petit air séducteur. Elle se crée de nouvelles lèvres, plus pulpeuses, plus délicates, plus rouges. Elle fait danser le crayon et le fard sur ses paupières rendant son regard plus perçant. Le temps s'écoule et pourtant elle reste immobile, fixant son reflet ; rectifiant sans cesse un nouveau défaut. Répugnée par l'image qu'elle pense renvoyer, elle tente en vain d'effacer les traces de sa différence. Elle a peur d'être remarquée, d'être cataloguée et critiquée. Ce qu'elle veut c'est la normalité, la transparence, l'invisibilité au point de ne plus exister pour les autres. Elle tente de faire disparaître sa véritable personnalité en en créant une autre plus uniforme.

Après avoir dompter son apparence, elle se tourne vers sa garde-robe. Elle veut être belle et discrète. Aimée mais pas regardée. Divine mais pas aguicheuse. Sublime mais simple. Elle joue, vitalement, avec ce paradoxe d'être aimée sans être vue. Puisqu'elle ne veut pas qu'on la voit ; Elle. Dissimulée derrière un physique appartenant à d'autres, elle craint que l'on voie ses failles et qu'on s'en serve contre elle. Comme avant.

Elle choisit un jean, bleu clair, avec des trous. Un basique tendance qui la met en valeur sans la mettre sur un piédestal. Elle choisit un top blanc, discret mais éclatant. Puis elle passe encore trop de temps à osciller entre trop ou pas assez. Finalement elle se prépare, mais plus pour les autres que pour elle-même. Quand enfin elle semble prête, elle n'arrive pas à franchir la porte de son appartement ; elle n'ose pas en sortir pour affronter le monde. Obnubilée par son apparence, elle ne fait pas deux pas sans se demander si elle est à la hauteur, si elle est comme les autres voudraient.

« Je suis prête » c'est le mantra qu'elle se répète à chaque fois qu'elle sort de son nid, que ce soit pour faire les courses, acheter une baguette, courir ... Alors, à moitié motivée elle se lance. Elle ouvre et referme la porte de son habitat. Elle n'a pas le choix. Si elle veut son diplôme elle doit aller en cours. C'était bien la seule et unique raison pour laquelle elle était prête à faire des sacrifices.

Elle marche doucement, pétrifiée, bien droite, calculant chacun de ses gestes, analysant tout ce qui l'entoure. Luttant contre elle-même ; elle avança jusqu'à son université. C'était ici, ou commencerait l'enfer, elle en était certaine. Hésitante, elle se dirige vers les fiches de renseignements et trouve vite sa place au fond d'une salle. Elle ferme les yeux et prie pour que cette année personne ne la remarque.

Les autres diraient qu'elle a tout pour plaire. Elle rentre facilement, même peut être trop, dans un pantalon T36. Elle a un beau visage, de belles courbes, une finesse et délicatesse innée. Et pourtant... Pourtant elle ne se voit pas comme ça. Elle a eu l'habitude d'être dépréciée, au point de se s'en convaincre à son tour. Elle rentre dans tous les critères de beauté de la société mais jamais assez pour autant. Chaque jour elle se construit de nouveaux défauts. Certains diraient qu'ils voudraient être à sa place, que pour elle tout doit être plus simple, plus beau. On pense qu'elle ne devrait pas se plaindre, qu'elle est stupide à se sentir moche, que finalement elle ne veut que de l'attention. Ainsi repoussée étant considérée comme narcissique, elle se retrouve délaissé et isolée. Au fond ce qu'elle voulait c'était d'être aimée. Vivre par amour, pour l'amour.

Au beau milieu du cours, elle entend quelqu'un rentrer dans l'amphithéâtre. Elle le sent s'asseoir juste derrière elle, hérissant chacun de ses poils. Elle sent un parfum masculin l'envahir. Elle aimerait se retourner pour satisfaire sa curiosité mais elle sait qu'elle devra alors supporter un contact visuel. Elle n'en était pas capable. Alors elle ignora cette envie instinctive. Cependant pendant tout le reste du cours, elle avait l'impression de sentir deux yeux la pénétrer. Elle savait que c'était sûrement son imagination à tendance obsessionnelle mais elle ne pouvait s'empêcher d'avoir des doutes. Elle passa le reste du cours à tenter de s'accrocher aux mots du professeur. Plus elle essayait, plus elle se sentait observée. Elle avait l'impression que tous les regards se braquaient sur elle. Oppressée, ses mains commencèrent à trembler et elle sentit l'air lui manquer. Chaque inspiration lui donnait l'impression de respirer un air carbonisé. La panique commença à envahir chaque parcelle de son corps, l'immobilisant. La peur la brûlait intensément. Elle sentait les palpitations de son coeur s'accélérer. Peu à peu elle se paralysa, perdant le contrôle. Son corps voulait crier, mais un combat glacial entre ses mots et le silence lui donnait l'impression de disparaître. Un frisson lui parcourut l'échine et elle s'écroula. Ce fut le vide, l'obscurité du néant qui accapara son être en un instant. Absorbée par les vapeurs de son inconscient, elle suffoquait. Terrorisée par cette sensation d'étouffement, agonisant dans cette position d'infériorité ; son corps étalé sur un sol si froid, si dur et hostile. Elle était seule, seule dans son désespoir, effrayée et pétrifiée. Elle sentit un essaim d'étudiants se précipiter vers elle sans savoir qu'ils étaient la cause de son asphyxie. Opprimée par cette masse humaine qui l'engloutissait, elle avait l'impression de s'engouffrer dans les ténèbres de son esprit. Elle voulait de l'espace, de l'air, de la solitude. S'éloigner, fuir cette atmosphère qui la comprimait et l'anéantissait.

Nora le RatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant