ClichéMania

VI. Marchandage

Je dois bien me l'avouer : sans le carnet, je me retrouve au point mort.

Aucun indice, aucune idée d'où je pourrais aller chercher les réponses maintenant. J'ai pourtant retourné Internet dans tous les sens, et ce des heures durant, sans trouver la moindre petite information. Je ne savais même pas qu'il existait encore des sujets pour lesquels la documentation en ligne était inexistante. Décidant finalement de m'y mettre à l'ancienne, j'ai épluché toutes les bibliothèques des environs, sans exception. J'ai même mis les pieds dans une brocante, en me disant qu'un de mes voisins avait peut-être un objet dans le style du carnet en train de prendre la poussière chez lui. Mais alors que j'ai l'impression d'avoir remué toute l'immensité du ciel et toute les couches successives de la Terre, toujours sans trouver l'ombre d'une piste, je commence à désespérer.

Ces derniers jours, l'atmosphère au lycée est devenue de plus en plus oppressante. Je m'étonnais en début d'année du groupe d'amis qui s'était formé comme par magie autour de Jackson ? J'ai accompli le même exploit. Toujours plus de personnes veulent me parler, apprendre à me connaître, bien que je manifeste clairement mon désintérêt à leur égard. Whitney enrage d'ailleurs à voir ma popularité grimper à toute allure. Pourtant, je ne peux me défaire de l'impression que ces personnes ne m'abordent que dans le but de me détourner des objectifs. Car bien sûr, si je passais mon temps à faire la fête avec des amis, je n'aurais plus le temps de m'intéresser aux clichés. Et que j'arrête de fouiner devrait arranger la personne qui m'a pris le carnet. Parano, moi ? Non, pas du tout. De toute façon, dès que je vois la situation sous cet angle, je me heurte toujours au même écueil : si j'ai vu juste, comment expliquer que tant de personnes soient impliquées ? Un complot à l'échelle de mon lycée contre moi, qui jusqu'à cette année me trouvais bloquée dans lacatégorie « fille discrète », paraît hautement improbable.

Le plus inquiétant reste, selon moi, Mike. Il agit de manière étrange ces derniers temps, un peu comme s'il était jaloux de mon voisin de classe préféré. Le moment où il va devenir méchant et tenter de me violer approche-t-il ? Je pense que oui. J'espère tout de même retarder cet événement le plus possible, car hors son côté « traumatisant mais pas tant que ça », selon le carnet, il signerait le début de ma relation avec Jackson. Et je ne veux surtout pas que cela... tiens ?

Comment j'ai pu ne pas y penser plus tôt ? Je suis dans une voie sans issue concernant mon enquête. Mais j'étais si obnubilée par mes recherches que j'ai presque oublié mon idée de départ, à savoir me débarrasser des clichés. Peut-être que chercher à nouveau comment me démarquer me permettra de voir les choses d'un point de vue neuf, ou de trouver quelque chose que j'avais manqué ? Et ça tombe bien, car je sais exactement comment je pourrais agir à l'inverse de l'héroïne clichée. Qu'est-ce que j'ai à y perdre, de toute façon ? Ma vie n'est plus qu'un désordre sans nom depuis quelques temps.

En sortant de mes cours de la matinée, comme d'habitude, Mike se rapproche de moi et s'apprête à m'aborder. En temps normal, je le fuirais en courant comme s'il était atteint d'une maladie hautement contagieuse. Là, au contraire, je ne lui laisse même pas le temps d'ouvrir la bouche que je saute déjà sur l'occasion :

– Mike, ça faisait longtemps ! je m'exclame avec beaucoup trop d'enthousiasme pour être crédible. On ne s'est pas croisés depuis combien de temps, une semaine ? Plus ?

– Beaucoup trop longtemps ! enchaîne-t-il d'un ton jovial, même si je sens une légère hésitation face à ma réaction inhabituelle. Tu veux qu'on se voie après les cours ?

– Bonne idée ! D'ailleurs, ça me fait penser... je ne suis jamais allée chez toi. Tu avais promis de me montrer tes jeux vidéo, non ?