ClichéMania

IV. Colère

Ces dernières heures de cours m'ont semblé interminables. Par chance, je n'avais pas à supporter Jackson, qui avait sans doute décidé de sécher pour aller fumer avec son gang. Le bonheur, j'ai enfin pu me concentrer sur le cours et prendre des notes potables. Mais les minutes ont quand même paru se dérouler au ralenti.

Arrivée chez moi, je ne perds pas une seconde. Le temps de poser mes affaires, et déjà, j'ouvre le carnet à la page du Bad Boy :

Le crush de l'héroïne, aka le Bad Boy, peut se reconnaître grâce...

Encore ? Mon téléphone est encore en train de sonner ? Pas possible, j'ai l'impression qu'à chaque fois que j'ai envie de me poser pour lire le carnet, quelqu'un est là pour m'interrompre. Cette fois, il s'agit de Pal. Je laisse mon portable sonner dans le vide quelques secondes, le temps qu'elle raccroche, et je peux enfin reprendre ma lecture.

Le crush de l'héroïne, aka le Bad Boy, peut se reconnaître grâce au blouson en cuir qu'il ne quitte jamais. Autre détail caractéristique : il est beau. Très, très beau. Le plus souvent, un brun ténébreux. Tellement beau que l'héroïne ne pourra s'empêcher de se sentir attirée par lui.

Encore une fois où le carnet a vu juste sur moi. Je ne suis plus vraiment surprise, à ce stade. Inutile de le nier davantage, j'ai des sentiments pour Mr. Bad Boy. Malheureusement, changer ce que je ressens pour lui ne sera pas aussi facile que de changer de coupe de cheveux.

Lui aussi est l'heureux porteur d'un prénom à consonance américaine, comme Liam, Luke, Mike ou Jackson.

Dans le mille, à nouveau.

Niveau caractère, le Bad Boy est toujours, sans exception, bipolaire. Il peut tout aussi bien venir en aide à l'héroïne, lui déclarer son amour avec des rimes, que l'insulter parce qu'elle a osé regarder un autre mec que lui.

Je n'ai pas vraiment eu l'occasion de me familiariser avec le caractère de Jackson, mais pour l'instant il ne m'a pas semblé particulièrement lunatique. D'un autre côté, le carnet ne s'est jamais trompé jusqu'à présent, alors je serais étonnée s'il faisait une erreur maintenant.

Enfin, le Bad Boy s'intéresse, pour une raison mystérieuse, à l'héroïne. Parce qu'elle est « différente ». C'est vrai quoi, elle lit des livres ! Et elle étudie ! Autant dire que pour le Bad Boy, il s'agit d'une extraterrestre.

Jackson... s'intéresserait à moi ? Il a une façon étrange de le montrer, alors. La partie sur le Bad Boy dans le carnet s'arrête ici. Comme le dernier chapitre, enfin, si je peux appeler ces clichés des chapitres, la fin est assez abrupte. Peut-être que ce carnet n'est qu'un brouillon et que la personne qui l'a écrit n'a jamais eu le courage de le terminer ? Ou qu'elle l'a terminé, mais sur un autre support ? Dans tous les cas, ça n'explique pas comment ce carnet s'est retrouvé chez moi.

Je prends mon portable afin de faire des recherches sur les clichés. Si ça se trouve, l'auteur du carnet en a posté une version améliorée en ligne ! Je tape différentes recherches : « clichés », « guide pour éviter les clichés », « bad boy + héroïne timide » ... tout ce qui me passe par la tête. Mais alors que je fais défiler les différentes pages de résultat, rien de pertinent ne ressort. Je trouve bien sûr les différentes définitions de cliché, des exemples de clichés par nationalité... mais rien sur ce fameux cliché du Bad Boy. Aucune page, aucun blog sur les clichés évoqués dans le carnet. Rien. Nada. Nothing.

Me voilà à nouveau dévorée par le doute, comme lorsque j'ai achevé la lecture du cliché sur l'héroïne. Ce mystérieux carnet, quelqu'un l'a peut-être bien déposé devant chez moi dans l'unique but de me perturber et de voir s'il parviendrait à me faire changer mes habitudes. Il n'est peut-être fondé sur rien, sinon ma propre vie. Si ça se trouve, quelqu'un au lycée a bien ri en voyant le changement radical qui s'est opéré sur moi ce matin. Cependant, je ne peux m'empêcher de penser que la version de moi qui a commencé à s'ébaucher aujourd'hui est meilleure que la précédente. Je me sens déjà mieux dans ma peau, plus épanouie. Et je peux difficilement croire qu'une personne ait pu inventer cette histoire farfelue de carnet juste pour augmenter mon bien-être.