III. Colère

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Encore quelques coups de ciseaux, et j'aurai terminé.

Sur le sol de ma chambre, déjà bien encombré, s'accumulent désormais de longues mèches blondes, et dont il y a encore quelques heures je n'aurais accepté de me séparer pour rien au monde. Je dois avouer que ma nouvelle coiffure rend presque mieux que l'ancienne. J'ai opté pour un carré très court, ce qui est à des années lumières de la longueur dont j'ai l'habitude. Les mèches sont un peu irrégulières, mais pour une coupe faite le matin à la va-vite je la trouve plus qu'acceptable. Et puis, je pourrais toujours rectifier ça si plus tard, je décide d'aller jusqu'au bout et de me les couper encore plus courts.

Finalement, après avoir passé une bonne partie de la nuit à réfléchir, j'ai réalisé que le carnet avait peut-être raison. Peut-être que je suis un cliché ambulant. Peut-être que je suis juste affreusement, extraordinairement banale. Mais dans ce cas, il ne tient qu'à moi de me démarquer et de devenir une personne un peu plus originale.

Un énième coup d'œil dans le miroir m'indique que je suis sur la bonne voie : cheveux courts, visage très peu maquillé, vêtements un peu différents de ce que je porte d'habitude. Malgré tout, je n'ai pas pu renoncer à ma couleur préférée, et le bleu reste omniprésent sur ma tenue. J'imagine que ce n'est pas une simple couleur qui va déterminer si je suis clichée ou non.

Malheureusement, s'il y a une chose que je ne peux pas changer sur commande, c'est ma timidité. J'ai la gorge nouée rien qu'en essayant d'imaginer comment les autres vont réagir à ma transformation, bien qu'assez légère pour l'instant. Pourtant, il va bien falloir que je la surmonte si je veux m'éloigner de la description du carnet, j'ai bien conscience qu'un relooking ne suffira pas.

Voilà. Maintenant que j'ai terminé mon petit-déjeuner riche en pancakes, je suis prête à partir, bien en avance cette fois. Au dernier moment, je décide de prendre le carnet avec moi pour la journée. Si j'ai un peu de temps, je pourrai lire la suite pour voir si l'ouvrage condamne également d'autres aspects de ma vie.

En classe, mon sympathique voisin me lance un regard étonné. Mais qu'est-il arrivé à son punching-ball préféré ? Des extraterrestres l'ont-ils enlevée et ont coupé de force cette chevelure dont elle était si fière ? Sa maison a-t-elle été brûlée, l'obligeant à se procurer de nouveaux vêtements de toute urgence ?

Je ne devrais pas me moquer, en fait, je suis plutôt surprise qu'il ait remarqué le changement. Mais je le suis encore plus quand certaines filles dont je ne connais même pas le nom viennent complimenter ma coiffure à la fin du cours. En particulier, la réaction de Whitney McHart me laisse estomaquée :

– On dirait que la petite Winter a grandi, persifle-t-elle d'une voix dégoulinante de dédain. Pas mal ta nouvelle coiffure, j'imagine que tu l'as faite toi-même pour qu'elle soit aussi irrégulière ?

Le rouge me monte aux joues. Whitney est fidèle à sa réputation de garce de lycée, et se révèle même pire que le portrait qu'on fait habituellement d'elle. Je reste muette, timidité oblige, et ma camarade en profite pour renchérir :

– Tu as encore tellement de chose à apprendre, chérie. Tu devrais venir traîner avec moi, je pourrais te faire quelques cours de rattrapage.

Je rêve, ou elle vient de me proposer de rejoindre son armée de minions ? Enfin, armée, c'est un grand mot pour désigner les deux filles qui suivent Whitney partout... Mon sang ne fait qu'un tour. Toute timidité oubliée, je m'empresse de rétorquer :

– Et me transformer en pot de peinture comme toi ? Très peu pour moi, merci !

Le visage de Whitney se tort en un rictus haineux, mais avant qu'elle ait eu le temps d'ouvrir la bouche pour répondre, je suis déjà sortie de la salle. J'ai peut-être exagéré. Mis à part le rouge à lèvres d'un rouge très prononcé qu'elle s'obstine à porter au quotidien et la couche de fond de teint servant sûrement à dissimuler des imperfections qui la complexent, la jeune fille n'est pas si superficielle que ça. Et la robe écarlate qu'elle porte aujourd'hui n'est pas si courte et si moulante que j'aimerais m'en convaincre.

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