OS

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Un.
Deux.
Trois.

Un, deux, trois. Un. Deux. Trois.
Trois, deux, un.

Je répète ces trois nombres, inlassablement. Un et deux et trois. Mes yeux tangent, vrilles, bloquent sur un point puis tremblent. Ma tête se tortille sur mon cou, au dessus de mon cœur. Là, juste au dessus, je le sens. Il tambourine et frappe mes côtes, ma cage. Je me sens basculer en avant puis en arrière, cela pendant une bonne minute. Je suis pourtant si immobile.

Je souffle, ou respire. Je ne sais plus. Un, deux, trois. Si je bouge, je tombe mais si je reste planté là, je divague. Un, deux, trois. Mon cerveau se bat avec lui-même pour envoyer des signaux à mon corps. Il s'embrouille à cause de l'alcool. Mais qu'est-ce que je fous là ?

Un pied, deux pieds. L'un devant l'autre. Je me mets en mouvement, doucement, prudemment, dans l'espace. Je me maintient à l'air qui m'entoure, un peu chancelant. Je m'arrête à chaque vibration lancée par mon cerveau embrumé. Je ne suis pas prêt d'arriver chez moi.

Je vois un banc. Je m'assois. Ma tête, lourde, tombe vers l'avant. Je commande à mon bras de la rattraper pour la remonter. Mes cheveux châtains se baladent sur mon visage. Mes yeux bridés se ferment doucement pour se rouvrir, la seconde d'après, en sursaut. Il ne faut pas qu'ils se ferment. Il ne faut pas que je revoie son visage. Non, non et non. Un, deux et trois.

Quelque chose m'entoure. Ce sont des bras, des bras d'homme. Une odeur familière me fait face. C'est lui ? Mes yeux embués se tournent vers ma droite. Il me sourit. Il me dit qu'il va me ramener chez moi, en sécurité et que si je reste là je risque de m'endormir et de finir congelé.

Mon cerveau décide de lui faire confiance, oubliant ses erreurs, et envoie quelques décharges dans mon corps. Je me lève et m'accroche à son bras.

Ses cheveux bleus nuits sont devenus gris. Il a tellement changé en l'espace de si peu de temps ; avant c'était moi qui le protégeait et j'en suis là maintenant. Dans ses bras, bourré et l'esprit totalement séparé du corps.

Je le regarde pendant qu'on marche sur un trottoir. Je l'observe, le fixe, le reluque, le matte, le bouffe. Il ne sourit pas, il ne sourit plus. Il tourne le regard vers mon visage et me demande si tout va bien.

J'aimerai juste lui répondre que oui. Mais j'explose et je lâche tout.

Que c'est de sa faute si je suis dans cet état là ce soir et ces autres soirs. Que c'est à cause de ses conneries que je me sens mal. Que c'est lui qui a défoncé mon esprit comme il avait défoncé mon corps des nuits entières. Je suis meurtris, blessé, pas seulement égratigné.

Je lui cris au visage que c'est à cause des ses lèvres, de son corps, de ses mots que je n'arrive plus à dormir la nuit, que le matin je me réveille avec soit une gaule d'enfer, soit des yeux gonflés. Il ne dit rien, il m'écoute juste.

Je m'accroupis, regarde le sol et agrippe mes cheveux entre mes doigts. Je respire fort, le souffle hachuré. Je ressens une violence inouïe qui s'apprête à sortir mais je ne veux pas, je ne peux pas lui faire autant de mal qu'il m'en a fait. Parce qu'après tout, il est là ce soir.

Alors je me relève. Une seule larme tombe de ses yeux et je comprends qu'il n'a pas eu le choix que de s'éloigner pour aller mieux de son côté. Pour que l'on aille mieux ensemble. Je pardonne. Je pardonne et j'essuie cette larme. J'enlace son cou de mes mains, je carresse ses mèches grises, toutes douces. Je m'approche doucement et je l'embrasse.

On en avait besoin. Si fort.

Un, deux, trois baisers et j'arrête de compter. On ne marche plus, on ne met plus un pied devant l'autre. On attend, on s'attend, que chacun ai fini d'embrasser l'autre. Mais ça n'en finit pas. Il retourne mon corps pour me coller au mur.

Il attrape mes hanches et carresse mes os en douceur. Je griffe sa nuque, je mord sa lèvre. Je n'ai plus froid, l'alcool ne m'embrouille plus, il est juste là. Je n'ai plus besoin d'artifices pour l'oublier. J'ondule sous ses mains.

Je me décolle de son corps, je reprend mon souffle et je lui fait promettre, que si demain j'oublie, de tout me dire. Promis ça ne me fera rien.

Promis, promis, promis.

On se remet à marcher. On sourit mais on ne parle pas, pas besoin. Il nous faut un peu de calme pour assimiler ce qu'il vient de se passer et s'assurer que c'était bien réel.

Un flocon tombe, puis deux, et trois. Je le lâche pour courir et tourne sur moi-même sous la neige. Je ris follement. Je pleure aussi. J'étouffe, je suis ivre de bonheur.

Il me rejoint et nous suffoquons tous les deux sous le trop-plein d'émotions et de sensations. On s'essouffle vite.
On se met à courir vers mon appartement, sous les lumières de Séoul. Ma vision est floue. J'ouvre ma porte avec difficulté.

On s'échoue sur mon canapé. On respire deux fois. Ou trois.

Doucement, il retire ma veste en cuir et mon haut. Lentement, il griffe mon torse. Sûrement, il dépose ses lèvres sur ma clavicule.

Ma tête part en arrière et mes lèvres s'entrouvrent, je lâche un soupir d'extase. Mes doigts se perdent dans ses cheveux et s'y accrochent. Mes hanches ondulent sur les siennes dans un mouvement prudent. Il remonte ses lèvres sur ma mâchoire puis sur ma joue. Il me susurre et m'assure qu'il m'aime. Je le crois.

Je prend son visage en coupe entre mes mains, je le regarde, un sourire au bout de mes lèvres. Je l'embrasse. Mes mains descendent le long de son corps, le débarrasse de ses tissus et déboucle sa ceinture d'un geste habituel.

Toute la nuit.

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©cplcsvp

Alcool - OS LuwooOù les histoires vivent. Découvrez maintenant