Chapitre 3 : Espoir futile

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« Tu n'es pas fou, Jayendra. »

L'homme devint statique.

« Je suis bien réelle. »

Sans qu'il ne s'en rende compte et qu'il ne puisse le contrôler, ses mains se mirent à trembler. Ses phalanges s'entrechoquaient, enfoncées dans les poches de son manteau, avec une telle force qu'il les sentait remonter jusqu'aux coudes.

Pris d'une montée de panique, il serra les poings précipitamment et ferma les yeux du plus fort qu'il pût. Il poussait les vagues épouvantées qui se brisaient contre son bon sens avec toute sa volonté et en vint même à répéter une longue litanie dans sa tête. Au bout d'un temps, il articula ce qu'il pensait si fort, avec l'espoir, peut-être, de la chasser plus efficacement de son champ de vision.

« Elle n'est pas là, elle n'est pas là. Elle n'existe pas. » Répéta-t-il.

Et il rouvrit les yeux.

Il n'y avait que le trottoir vide et le froid mordant ; les lumières vacillantes safranaient la neige et les flocons s'étendaient sur les cimes des arbres bordant la route. Un calme nonchalant semblait traverser le paysage et Jayendra en fut immédiatement rassuré. Il soupira lourdement et reprit sa route, non sans manquer de souffler un bon coup dans ses mains secouées de frissons.

Il avait l'impression que quelque chose lui trouait le dos d'un regard perçant, mais il n'osait se retourner pour s'en assurer. Alors il baissait résolument le menton et avançait sans même se donner le temps d'hésiter.

Cette désagréable impression d'être suivi et observé ne diminua pas en arrivant sur son lieu de travail. Pourtant, il salua ses collègues avec naturel, se glissa dans son uniforme sans se départir de son calme, et commença la tournée du soir comme à son habitude.

Ce fut en entrant dans la chambre d'une quinquagénaire sourde qu'il manqua de sursauter.

L'illusion était là, assise en tailleur aux pieds de la vieille femme allongée, ses cheveux rassemblés en une longue tresse ébène. Elle regardait Jayendra avec intensité, le creusait de ses iris mordorés et luisant ; c'était la deuxième fois qu'il le remarquait : ses yeux n'étaient pas d'une couleur ordinaire.

Jayendra prit une pause pour s'habituer à la présence de cette distorsion imaginaire qui lui semblait si palpable. Une coulée de sueur glaciale descendit le long de son échine avec une vivacité qui le surprit ; cela l'aida à se reprendre.

Il ferma les yeux une seconde, essaya de faire le vide. Il n'y parvint pas ; sa présence battait contre son esprit avec une acuité brutale. Malgré tout, il décida de faire son boulot.

Lorsqu'il se mit enfin en mouvement, il prit soin de ne pas regarder au pied du lit et de se concentrer sur la patiente qu'il devait traiter ; il lui tendit ses cachets, l'aida à les avaler, s'enquit de ses ressentis quant à la température et ajouta une couverture quand elle lui déclara avoir froid. Avec cette dernière action, le mirage noir de son esprit s'était levé, comme pour lui laisser de la place pour manœuvrer.

Alors qu'il reprenait le gobelet vide sur la table de chevet, son hallucination lui dit :

« Elle va bientôt mourir... D'ici un jour ou deux, pas plus... »

Sans vraiment le décider, Jayendra leva les yeux vers elle.

« Je pourrais presque saisir ce qui lui reste de... » Elle sembla chercher ses mots une seconde. « D'ardeur... Une simple poussée et ça en serait fini de sa douleur. »

L'infirmier serra les dents, il ne savait pas ce que créait son esprit avec ce personnage qui lui gelait les sangs, mais il voulait que ça s'arrête au plus vite. Sans laisser plus de temps à la chose pour s'exprimer, il sortit de la chambre et ferma résolument la porte.

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