Chapitre 4 : Nervosité invisible

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Jayendra était livide. Ses joues semblaient creusées par des semaines de disette et faisaient ressortir ses pommettes hautes et lisses ; sa bouche, tremblante, perdait de ce charme ourlé dont elle se parait habituellement. Son teint mat tirait vers un marron cireux et ses yeux s'agitaient de petits regards effrayés.

Dans une toute autre situation, Anastasia se serait exclamée à plein poumons face à un changement si radicale – en une dizaine de minute, le choc l'avait vieilli de quelques bonnes années ; mais là, aujourd'hui, elle tentait de gagner sa confiance et de faire passer son récit pour quelque chose d'un poil crédible. Alors elle gardait sa bouche close et le sourire qui faisait tressauter ses commissures aussi discret que possible.

« Je sais que ce n'est pas bien engageant... Je dois avouer que de mon côté c'est assez bizarre aussi. On voit beaucoup ça dans les films... Enfin, on voyait beaucoup ça dans les films quand j'étais vivante... »

L'infirmier couina. Le restant de jeune femme qui lui faisait face ne put empêcher ses lèvres de dessiner un minuscule arc de cercle, même pas pour se moquer, mais parce que la nervosité commençait à grimper dans sa poitrine ; elle n'était pas sûre de pouvoir contenir le rire qui montait.

« Il n'y a pas vraiment de façon pour te l'annoncer gentiment. A vrai dire, personne n'a été capable de me voir jusqu'à présent, alors le problème ne s'était jamais posé. Et... Hum, malheureusement, je n'ai pas vraiment de manuel de conduite pour faire passer la pilule gentiment. Je suis obligée de poser le fait comme ça, sans pommade. »

Jayendra ne réagissait plus. Anastasia se gratta le front et glissa une mèche derrière son oreille, avec le désir immense de combler ce silence pesant de quelques actions légères.

« Alors, voilà... Je suis morte. Désolée. »

L'infirmier se leva soudainement comme un ressort et traversa la pièce. Il ouvrit maladroitement le frigidaire et trembla en sortant une bouteille d'eau. Après en avoir tassé la moitié au fond de sa gorge, il demanda, la voix pleine de tremolos :

« Pourquoi je te vois ? »

Anastasia ramena sa tresse sur l'avant de sa poitrine et en tripota nerveusement l'élastique.

« Je ne sais pas trop... J'ai déjà entendu un fantôme parler d'un humain qui l'avait aperçu juste avant son suicide, mais il ne savait pas pourquoi. Le désir de mourir lui aurait ouvert les yeux sur notre monde ? Peut-être. Je n'ai pas vraiment tenu à en savoir plus, j'ai tendance à éviter les miens. »

Il eut un léger flottement, puis la jeune femme demanda :

« Je sais qu'on ne se connaît pas, mais... Es-tu triste ? »

Jayendra ne répondit rien et se passa les mains sur son visage ; il avait l'impression que ce dernier était transi par la surprise, il ne parvenait pas à hausser un sourire sur la commissure de ses lèvres, ni même à faire tomber une larme d'effroi sur sa pommette. Sa peau était froide comme de la glace, pourtant il sentait l'humidité d'une sueur anxieuse contre son front.

Sans répondre à sa question, il renchérit :

« Comment je peux t'appeler ? »

Un sourire poli se dessina sur le visage de son interlocutrice.

« Je m'appelle Anastasia. »

Jayendra hocha la tête trois fois, très rapidement, puis revint s'asseoir à ses côtés.

« Ok, Anastasia, cette histoire est... » Il eut un sourire grinçant avant de retrouver une posture sérieuse. « Totalement folle. Mais, admettons... admettons que tu dises vrai et que je ne sois pas fou, mais simplement... Capable de voir ce que personne d'autre ne voit. »

ÉthéréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant