Chapitre 1 : Surprise des grands matins

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Le matin piquait son front d'une brise furieuse. Le menton enfoncé dans son écharpe bleu nuit, ses grands yeux bruns s'étaient plissés en deux fentes pour se protéger du vent. La neige sanglotait à chacune de ses enjambées, accrochée dans le pli de ses bottes. Un désagréable malaise figeait son corps en mouvements droits et mécaniques.

Transi, il ressentit un franc soulagement en étant accueilli par une chaleur réconfortante à son entrée dans le hall de La Maison de Retraite de la Brise Douce - pur mensonge : le courant d'air n'avait rien de délicat.

« Bonjour Jay ! »

Ledit Jay écarta son écharpe d'un mouvement sec afin de découvrir son visage basané, éclairé d'un sourire aimable.

« Bonjour Deborah. »

Tout en s'avançant, il s'était débarrassé de ses gants et avait déboutonné le haut de son manteau épais.

« Quoi de nouveau aujourd'hui ? »

Avant que sa collègue n'ait pu lui répondre, il était passé derrière le bureau et s'engouffrait déjà dans les vestiaires à l'arrière.

« Tout à été calme cette nuit. »

Jayendra opina du chef, sans se rendre compte qu'elle ne pouvait pas le voir, et se débarrassa de son manteau et autres couches contre le froid ; il les accrocha à une panthère sans grande adresse. Il attrapa ses vêtements de rechange et les cala sous son bras. Ensuite, avec une certaine gaucherie, passa la tête à travers l'embrasure de la porte et sourit à Deborah. Les yeux rivés sur une fiche d'information, elle prit un certain temps à réaliser qu'elle était fixée. Quand ses pupilles croisèrent celles du jeune homme, elle ramena ce qu'elle tenait contre sa poitrine un peu brusquement et attendit, incertaine. Au bout d'une dizaine de secondes, il déclara :

« Je vais me changer et tu seras libérée ! »

Elle hocha la tête assez maladroitement, puis, quand il disparut, demanda en haussant la voix :

« Tu finis bien à quatorze heures ?

- Oui. »

Un léger silence flotta.

« Tu voudrais manger un morceau après... Avec moi ? »

Deborah crût attendre une éternité avant d'avoir sa réponse.

« Oui. Ça serait sympa... Quatorze heures trente, chez Tommy's ? »

Un soulagement éclatant fit vibrer sa poitrine.

« Ca me va... »

Elle se détourna en rougissant, faisant mine de se plonger dans des papiers quelconques, tout en sachant que personne ne l'observait.

Jayendra se dépêcha de rassembler ses affaires et courut se réfugier dans les vestiaires pour homme.


Comme au quotidien, la matinée fut chargée, longue, mais sans souci majeur. Jayendra encaissa les remarques déplaisantes et acides des pensionnaires, avala un café trop allongé en trois gorgées, se cassa le dos en portant une aïeule entre son canapé et le lit, distribua traitements sur traitements et se permit une petite pause de cinq minutes entre deux douches. La fatigue enlaçait étroitement ses muscles et une tension désagréable saisissait sa nuque - il frottait l'arrière de son cou avec l'espoir qu'il serait un peu soulagé.

Assez nerveusement, il regarda sa montre. Treize heures et trente immenses minutes. Un soupir mi soulagé, mi plaintif accueillit cette nouvelle. D'ici une petite heure il rejoindrait Deborah pour un repas dans un cadre qui n'avait rien de romantique - il connaissait la carte du Tommy's par cœur ; il prendrait les ailes de poulets - et cette perspective l'angoissait plus qu'il n'osait l'avouer. Il se sentait impuissant et fébrile à la perspective de dévorer un pauvre volatile alors qu'elle le mangerait des yeux - et qu'il ferait de même.

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