Chapitre 3 - Lady Tremaine

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Nous arrivâmes trop vite à mon goût.

Passés le petit pont et après un ultime virage, notre demeure apparut, élégante mais solide avec ses murs de pierre. Séparée du chemin par un petit muret, la maison se fondait dans les feuillages épais des arbres. Seuls les toits pointus des tours dépassaient. Plus large que haute, elle s'organisait autour d'une cour intérieure, peuplée de poules, qui donnait sur un verger ainsi qu'un potager. Quand la façade n'était pas mangée par des fleurs de mauve, elle était recouverte de pierres mordorées et châtain clair, percée de fenêtres oblongues.

C'était une belle maison mais cela faisait longtemps que je ne la considérais plus comme la mienne.

Lorsque le fiacre s'arrêta, je n'eus même pas besoin d'aider mes belles-soeurs à sortir : elles avaient remarqué aussi bien que moi la présence inhabituelle du cheval bai dans la cour et s'étaient déjà précipitées vers le porche. Au vu de la sacoche de cuir attaché à la selle, ce devait être un messager. Au même moment, la porte d'entrée s'ouvrit et un homme en sortit, accompagné de Lady Tremaine.

Bien que de taille modeste, il paraissait minuscule comparé à la haute stature de ma belle-mère, accentuée par sa coiffure élaborée et sa maigreur sans pareille. Il portait un chapeau à plumes turquoise et une cape, attachée autour de son cou par une broche aux armoiries du royaume, confirmait son statut.

Dès qu'elles le virent, les jeunes demoiselles qui s'étaient lancées dans leur direction durent, tant bien que mal, freiner pour atterrir dans une révérence si peu gracieuse que je jurerai pouvoir faire mieux. Un petit gloussement m'échappa. Ce que ma belle-mère ne manqua pas de remarquer.

  - Ce sont vos filles ?

  - Oui. Je vous présente Drizella et Anastasia, dit-elle en les désignant de la main et m'oubliant délibérément au passage.

  - Enchanté de faire votre connaissance mesdemoiselles. Je vous prie de bien vouloir m'excuser mais je dois encore visiter d'autres maisons avant la fin de la journée pour leur annoncer la nouvelle. Au plaisir de vous revoir au concours.

Sur ce, il grimpa sur sa monture et après un ample salut avec son couvre-chef, il s'en alla. Aussitôt parti et hors de vue, le sourire aimable de Lady Tremaine fondit comme neige au soleil et d'une voix glaciale, elle s'adressa à moi :

  - Cendrillon, dépèches-toi de chercher les achats des filles et de les monter dans leurs chambres. Puis viens me voir au salon.

J'attrapai en vitesse les sacs et entrai tandis qu' Anastasia, qui ne pouvait contenir plus longtemps sa curiosité, interrogeait sa mère à propos du le dit concours. J'eus juste le temps d'entendre de la part de sa soeur que ce serait elle qui le remporterait et non sa cadette avant de gravir les marches de l'escalier. Je ne souhaitais pas participer une énième fois à une de leurs nombreuses querelles lesquelles n'aboutissaient jamais à rien.

Monter les paquets et les ranger ne demanda que peu de temps. Je me retrouvai donc rapidement face à Lady Tremaine, confortablement installée dans son fauteuil. Avec sa robe d'un pourpre royal et ses bijoux assortis au vert de ses yeux, elle avait tout l'air d'un sévère monarque, siégeant sur son trône.

  - Je dois dire que je n'ai pas beaucoup apprécié ce que tu as fait tout à l'heure... Te rappelles-tu la chance que tu as d'être ici ? Je pourrais tout aussi bien te laisser à la rue mais je t'accueille et te nourris. Est-ce comme cela que tu me remercie ? En te moquant de mes filles...

Je gardais les yeux baissés et murmurai sans détourner le regard de mes souliers :

  - Non, évidemment que non. Pardonnez-moi.

  - Cendrillon, continua-t-elle d'un ton froid, je ne tolérerai pas de nouvelles erreurs de ta part est-ce bien clair ? C'est pourquoi tu chaufferas la maison, préparera le dîner et récurera les casseroles.

J'hochai de la tête et m'en allai pour me plonger dans la réalisation des tâches qui venaient de m'être confiées.

Comme nous manquions de bois, je dus aller en couper. Cela m'occupa tout l'après-midi mais au-moins, j'en avais coupé plus qu'il n'en fallait, de quoi tenir plusieurs jours même si je doutais fortement que nous allions faire des feux d'ici peu. Si c'était le cas, cela ne pouvait être qu'un caprice de la propriétaire du domicile puisque la belle saison approchait à grands pas dont témoignait la magnifique journée d'aujourd'hui.

Après arriva le moment de préparer le dîner. Je n'avais jamais été très douée en cuisine. Je savais préparer les en-cas et le thé mais tout un repas relevait plus du défi que de l'activité quotidienne à laquelle on prenait du plaisir. D'ailleurs, ma belle-famille l'avait vite découvert à ses dépens. La première soupe goûtait plus le poivre et le sel que la carotte, et la viande, pas assez cuite, était tout à fait indigeste. Heureusement, en l'espace de quelques semaines, j'avais fait d'énormes progrès et ma cuisine devenait de plus en plus comestible. Je n'irais cependant pas encore à dire bonne mais je m'en rapprochais. Toutefois, des petis incidents arrivaient de temps en temps...

Tandis que le ragoût au poulet massérait sur feu doux, je nettoyais les casseroles et commençai par les plus petites pour après finir par les plus imposantes, presque aussi grandes que moi. C'est dans un malheureux chaudron, accroupie à quatre pattes dedans, que je sentis une odeur de brûlé. Aussitôt, le souvenir du ragoût laissé sans surveillance me revint à l'esprit. Il n'en restait plus qu'une substance noire à l'aspect douteux et je ne pus que servir un repas frugal : une miche de pain accompagnée de légumes crus. De nouveaux, je reçus des regards désapprobateurs et des plaintes (apparemment, Anastasia s'était mise en tête que je voulais l'empoisonner par ma cuisine, avant même qu'elle ait pu rencontrer le prince de ses rêves).

Ma seule consolation : j'avais fini de récurer les casseroles et ainsi ma journée de travail.

La sirène de minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant