Un perpétuel combat

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Recroquevillé, caché, dans un buisson, le Loup observait le grand bâtiment devant lui. Grand était un mot trop simple pour décrire cet immeuble démesuré. Mis à part sa taille considérable, il n'était pourtant pas si spectaculaire. Il ressemblait à vrai dire à tous les bureaux des grandes sociétés, mais aucune fenêtre ne maculait les façades, elles laissaient plus qu'une confidentialité toute relative au citadins. Non, ces locaux gardaient des secrets. Et les vitres teintées en attestaient. Cela était peu étonnant quand on avait conscience qu'ils hébergeaient une firme nationale des plus en vogue de cette époque.

Et c'était à cette entreprise que le Loup se confronterait lors de cette soirée.

En ce moment même il se remémorait d'ailleurs le plan d'infiltration que lui avait concocté son plus fidèle ami.

Comme à chaque fois, Eren avait retrouvé Armin dans son petit appartement sale, lui épargnant le trajet joignant leurs deux habitations. C'était un appartement cher, du fait de sa place au rez-de-chaussé, ce qui était rare en ces temps de crise. Les départs de feu étaient fréquents, presque quotidien. Les places de choix se trouvaient près du sol. Quand on vivait dans les derniers étages, il suffisait d'un incendie et votre destin était scellé, il était impossible de compter sur la réactivité des agents de sécurité municipaux. Alors les loyers augmentaient, c'était la base du marché immobilier. Pourtant Armin n'avait pas le choix.

Son visage rond aux traits tirés par la fatigue et la maladie le faisait passer pour un dément. Mais il était tout sauf ça. De lourdes cernes soulignaient ses grands yeux bleus ternes. Ils ne brillaient plus de vie qu'en présence des personnes pour qui il comptait. Il était blond , un blond paille, les cheveux gras. Sa tignasse retombait sans grâce sur ses épaules émaciées. Son corps, plus que svelte, n'était plus qu'un tas d'os enveloppé d'un épiderme gris souffreteux. Il nageait dans ses vêtements, des accoutrements simples, sans ornements, de tissus médiocre.

Une longue et souple plume sombre entourait la cheville droite d'Armin. C'était une plume de corbeau.

Quand il se voyait Eren et lui, aucun faux semblant n'existait. Et cela incluait la deuxième identitée du premier. Il ne revêtait pas son masque, et comme l'obligeait les autorités, les plumes de hérons pâles ornaient sa taille. Sa classe sociale était exposée à la vue de tous. "Classe moyenne" pensait les inconnus sur son passage.

La propre plume du blond révélait son appartenance à la population la plus pauvre de la ville. Et c'était là un blâme que tous redoutaient. Ce qui portait cette plume la cachait, ou du moins la plupart d'entre eux, et Armin n'échappait pas à cette règle.

Il endossait un lourd fardeau. La pauvreté, les dettes que ses parents, puis son grand-père, lui avaient léguées. Son père et sa mère étaient morts alors qu'il n'était encore qu'un enfant insouciant. Il n'avait qu'une dizaine d'années tout au plus. Ils avaient accumulé les emprunts aux banques du quartier. Et ce dans un seul but, payer les frais d'hospitalisation de leur unique fils. À leur disparition, c'était le grand-père maternel du garçon qui avait hérité de la charge qui leur incombait. Et enfin, Armin avait reçu ce legs.

Armin n'avait pas une vie facile. Mais tant d'autres étaient dans le même cas, tant d'autres l'avaient été et encore de nombreux autres le seront par la suite si personne n'y changeait rien.

À présent le Loup s'attaquait à un groupe, comme le lui avait conseillé son ami. Rares étaient les actions d'une telle ampleur venant de ce Solitaire. Eren était doué pour l'assassinat, pas pour la guerre. Selon lui, la guerre n'était qu'un moyen de se défouler d'un surplus. Une action sans réel sens. Les guerres ne transformeraient pas le monde, ou du moins pas de la bonne façon. C'était trop brutal pour cela. De plus, Eren tenait à la vie, aussi étrange que cela puisse paraître pour un rebelle.

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