C'est le soir. Il fait nuit, et dans sa chambre, Tom observe les pages de son livres. Observe seulement, car il est perdu dans le tourment de ses pensées, et essaye seulement de distraire son cerveau en se mettant un livre sous les yeux.
Mais ça ne marche pas.
Tom se lève alors, délaissant son livre sur la couverture d'un noir d'encre. Il s'appuie à la fenêtre, le regard perdu dans le ciel, contemplant les étoiles.
Non, ça ne marche pas non plus.
Personne ne devrait avoir à vivre ça. Subir ce qu'il subit. L'école n'est pas un endroit où on devrait laisser les enfants aller, songe-t-il. C'est trop dangereux. Pourtant, il ne se fait pas frapper, ni même insulter.
Il les voit.
Ces adolescents parfaits. De parfaits petits produits, tous les mêmes. Les mêmes goûts, les mêmes insultes. Ils forment un groupe compacte dans sa classe, si bien que le jeune homme se sent extrêmement seul.
Lui, il n'écoute pas la même musique. Lui, il ne s'habille pas comme les autres. Lui, il n'aime pas les filles. Lui, ses parents ne sont pas divorcés. Mais peut-être aurait-il fallu.
Car ses parents se détestent. Et le détestent. Tom est le domestique de la maison. Chez lui, il se fait insulter, tant par sa mère que par son petit frère. Chez lui, sa mère s'avachit dans le fauteuil défoncé pendant qu'il prépare le repas, au lieu de réviser. Chez lui, lors des examens, Tom se fait insulter, menacer, et non encourager. Chez lui, chaque fois qu'il ouvre la bouche, sa mère lui lance un regard partagé entre haine et dégout.
Et ça le tue.
Alors à l'école, ces adolescents parfaits, qui murmurent sur lui quand il passe, qui lui jettent des sourires goguenards en cours, qui s'en moquent ouvertement à la bibliothèque, il les ignore. Maigre pitance, maigre barrière, mais c'est tout ce qu'il a.
Alors à la maison, quand sa mère lui crache sa haine au visage, il l'ignore. Trop longtemps il a laissé cette femme détruire le peu d'estime qu'il avait pour lui, trop longtemps il l'a laissé le brider, alors maintenant, il l'envoie au diable. Mais elle sait où frapper.
Elle sait lui faire mal. Elle sait que quand elle dit que c'est un bon à rien, un incapable, que ce soit d'avoir des bonnes notes ou des relations humaines, une erreur, une petite merde, elle sait qu'elle lui fait mal. Que tout au fond de lui, l'enfant recroquevillé pleure au son du fouet qui claque. Il le voit dans ses yeux, emplis de haine et de méchanceté, dans sa bouche qui articule chaque mot, presque avec délice, s'amusant de ce fils qu'elle détruit, dans sa voix, suave, heureuse de casser cet homme dans l'oeuf. Fière de son œuvre. Quel beau carnage.
Alors il se redresse de toute sa taille, raide comme la justice, attend qu'elle aie fini, et prend congé sans un mot. Ce n'est qu'une fois dans sa chambre qu'il se laisse aller. Et qu'il pleure de tout son saoul.
Mais un jour, il avait quinze ans, il se fit le serment qu'il ne la laisserait plus jamais le faire pleurer. Qu'elle ne le méritait pas. Que pour rien au monde, il ne lui aurait donné la satisfaction de le sentir peiné.
Mais contenir tout ça, au fond de lui, c'était impossible. Il aurait noyé l'enfant sous la douleur.
Alors avant que ça n'arrive, Tom a trouvé un autre moyen d'extérioriser sa peine.
Les lames.
Au début, ce n'avait été que quatre coupures, soigneuses, dans les plis de son poignet, discrètes. Mais bientôt, il sombra dans un sentiment d'esseulement, et réduisit son bras en lambeaux de chairs, le lacérant de tout son saoul. Et observant le sang perler.
Ça ne lui fait même plus mal. La douleur ne réside pas dans la lame, ou dans la coupure, mais dans ce qu'elles cachent. Et c'est comme une brûlure à son âme.
Il ne va plus au basket. Là bas, il est obligé de porter des manches courtes. Et les regards de ses coéquipiers sont si lourds qu'il peine à avancer.
Alors à l'école, quand les adolescents parfaits l'insultent en murmurant, à peine cachés derrière leurs mains, Tom se dit qu'il les ignore.
Mais machinalement, il attrape les bouts des ses manches, enfouissant un peu plus sa douleur sous le tissus.
VOUS LISEZ
Rattrapez-moi
Non-FictionL'adolescence est un âge difficile. Elle l'est encore plus, parce qu'on rend compte du regard des autres. Et on affronte le sien.