3 - Saïd

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Allongé sur son lit, Saïd contemplait le monde.

Enfin, le plafond.

Il faisait ça pendant des heures. Peut-être que sur le plafond allaient s'écrire en lettres de sang les réponses à ses questions.

Les ombres sur les murs s'allongaient, à mesure que le soleil disparaisait derrière l'horizon. Elles dansaient, une danse macabre, autour de lui. Autour de sa tombe.

Les cheveux d'ébène, la peau couleur café, Saïd avait autrefois été un garçon pétillant. Quand il avait dix ans, il dessinait beaucoup, en utilisant plein de couleur. A douze ans, il volait les pinceaux de sa mère et recouvrait ses murs de couleurs éclatantes. Elle le retrouvait, au soir, le visage barbouillé de rose, de vert, et de bleu, un joli soleil peint au dessus de son lit. Elle le prenait alors dans ses bras, et lui racontait des histoires merveilleuses sur des génies d'Orient, des princes maniant le sabre, des héros vêtus de turbans et des hommes cracheurs de feu. Elle restait ainsi, une main dans les cheveux courts de son fils, sa voix emplissant le silence, et ce pendant des heures. Puis, quand il s'endormait, elle le mettait au lit et partait peindre à son tour des hommes cracheurs de feu et des charmeurs de serpents. Et au matin il allait regarder ses toiles en attendant qu'elle se lève.

Mais ça c'était avant.

Les ombres sur le plafond s'allongèrent. Se dessinèrent. Se précisèrent. Les humanoïdes de la nuit tendaient leurs mains griffues vers lui, tentant de lui arracher le coeur. Elles rampaient sous son lit, s'agrippaient à la couvertures, se glissaient dans sa tête, lui murmurant des choses horribles aux oreilles. Elles prenaient le contrôle de sa tête. 

Il sentait leurs griffes lui lacérer le torse, se loger entre ses poumons, dans son coeur, dans sa gorge, formant un noeud impossible à défaire, et dans sa tête.

Ses yeux regardaient le plafond sans le voir. Ses yeux ne voyaient plus rien. Et pour ce qu'ils voyaient, il aurait préféré se les arracher plutôt que de les voir encore.

Dehors le ciel était magnifique. Mais il ne voyait qu'elles.

Les toiles.

Exposées partout dans la maison, les toiles de sa mère apportaient la vie dans leur maison. La vie qui l'avait désertée. Les couleurs orangées des paysages de son pays, les couleurs bleutées du pays de son père, chaque pièce avait une âme.

Il avait l'impression d'y être cloué. Chaque fois qu'il passait devant, il avait envie de les déchirer, d'en finir avec ces cracheurs de feu et ces charmeurs de serpents. Ces dessins l'étouffaient.

La parcelle de son âme que sa mère avait mise dans chacune d'elles le tuaient.

Elle était partie. Elle était partie avec un autre homme, qui avait un autre fils, un homme qui avait une autre maison, un homme dont le fils n'avait pas peint sur ses murs à douze ans.

Les ombres s'enroulaient autour de sa taille, l'enserrant de leur étau de fer, glissant le long de sa colonne vertébrale, louvoyant entre ses omoplates, se logeant dans sa nuque. Leurs mains écorchaient son cuir chevelu, traçant de profond sillons dans ses cheveux. Et leurs voix s'élevaient dans un choeur terrifiant, amplifiant le noeud dans sa gorge.

Allongé sur son lit, il ferma les yeux. Mais les ombres étaient toujours là. Gravées sur l'intérieur de ses paupières, comme le visage café entouré de mèches couleur ébène de sa mère. Comme son rire était imprimé sur ses tympans. Comme son nom habitait sa gorge.

"Maman".

Mais elle ne reviendrait jamais. 

Les ombres hurlèrent alors, emplissant la nuit de leur chant funèbre. Il ne pouvait s'y soustraire.

Alors il s'y noya.

Il déchira les toiles.

Rattrapez-moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant