Chapitre 9

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— Ne fais pas ça, gémit Éléonore.
Sans s'en rendre compte, elle s'était recroquevillée sur le sol.
Elle sentit le monstre s'accroupir devant elle. Elle ne leva les yeux vers lui seulement quand sa main se posa sur son épaule.
Mais à la place de voir le visage noir du monstre, elle croisa deux yeux. Deux yeux bleus pétillants.
Sous le choc, Éléonore tendit la main pour caresser la joue du petit bonhomme qui se tenait face à elle, comme essayant d'y effacer les tâches de rousseur. Le petit garçon éclata à nouveau de rire. Il s'éloigna de quelques pas et Éléonore se releva, les yeux embués de larmes.
— Tu viens ?
Il lui tendit la main et, dans un état second, Éléonore l'attrapa.
Il était là.
Il était vivant.
Devant elle.
Il ne lui en voulait pas.
— On va être en retard !
— Quoi ? balbutia la jeune fille.
Il se tourna vers elle en souriant.
— On va être en retard à l'école.
Lorsqu'il dit ces mots, elle aperçut un mouvement dans la pénombre.
Soudain tout s'éclaira autour d'eux.
Et le paysage qu'Éléonore vit la glaça d'effroi.
Elle comprit avant même d'apercevoir le cartable dans le dos de son petit frère.
C'était un souvenir.
Le souvenir.
Celui qu'elle voulait à tout prix effacer.
Une voiture s'arrêta à côté d'eux et deux enfants en sortir avant de courir vers le portail rouge de l'école, de l'autre côté de la route.
Une traction sur sa main reporta son attention sur son petit frère. Entraîné par son élan, il la tirait vers le passage piéton.
— Non ! Elias ! s'exclama-t-elle.
Il ne fallait pas qu'il traverse !
Elle freina des quatre fers, l'empêchant d'avancer plus.
— Élo ? Qu'est-ce qu'il y a ? s'étonna-t-il.
Il la fixait de ses grands yeux bleus, surpris.
Éléonore ne put lui répondre. La seule pensée cohérente que son cerveau pouvait formuler était : Pas cette fois.
Elle le tira encore en arrière, essayant vainement de l'empêcher d'avancer.
Mais déjà il se dérobait à sa poigne en répétant qu'ils allaient être en retard.
Sous les yeux effrayés de la jeune fille, la scène qui hantait ses nuits depuis deux mois se déroula au ralenti.
Son corps ne lui obéissait plus.
Toute sa volonté était concentrée sur ses jambes, qu'elle essayait de desceller du sol.
Elias courut vers le bout du trottoir.
Elle se revit, avec lui, jouant au foot, pieds nus dans le jardin.
Il hésita quelques secondes avant de traverser.
Elle le revit, lui, du chocolat tout autour de la bouche, à l'heure du goûter.
Il fit un pas.
Un deuxième.
Éléonore savait qu'il courait, mais elle le voyait marcher au ralenti comme un cosmonaute.
Il adorait jouer au cosmonaute.
C'était son rêve.
Mais dans trois pas, son rêve s'éteindra avec lui.
Troisième pas.
Au loin, un crissement de pneu se fait entendre.
Quatrième pas.
Pourquoi personne ne fait rien ?
Pourquoi la voiture ne ralentit pas ?
Pourquoi Elias n'a pas regardé des deux côtés avant de se lancer ?
Pourquoi elle ne l'avait pas retenu ?
Cinquième pas.
Un choc sourd.
Le cri d'Éléonore mourut sur ses lèvres tandis que son coeur s'arrêtait.
Et
Tout
Devint
Noir.

Après minuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant