Tam

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Hey Tam,
je sais que ce que je fais est stéréotypé, ridicule et probablement inutile, mais on fait ce qu'on peut pour rattraper nos actes manqués, moi et les autres. En plus, c'est pas comme si ça t'aurais déplu, t'aimais tellement tous ces teenage dramas américain, t'aurais été ravie... enfin bref.

Après-demain, jeudi cinq juillet 2018, on t'enterre. Il y a soixante-et-une heures, tu respirais encore. Je pensais pas que les cérémonies étaient organisées à peine les rails nettoyés.

Quand j'ai appris la nouvelle, je n'ai pas éclaté en sanglots. Je n'ai pas prévenu mon entourage. Pour dire vrai, rien ne  m'a affectée après le mot suicide (qui d'ailleurs n'a pas été répété depuis, on parle "d'accident de personne", de "drame", de "malencontreux incident", parce qu'appeler une chose par son nom c'est admettre son existence et pour certains ça fait encore trop mal). J'ai froidement considéré l'information, et je l'ai refusée. Non, tu n'étais pas morte. Ce n'était même pas un mensonge, un combat intérieur, non; ce n'était tout simplement pas arrivé. Je pense que si j'avais été seule, ce jour-là, je me serais effondrée, parce que seule je ne peux pas échapper au tourbillon de mes pensées. Mais j'étais accompagnée par la bonne personne, et grâce à elle j'ai pu prendre tout le bonheur dont j'avais besoin avant le chaos qui allait suivre.

Le lendemain matin, j'ai commencé à réaliser l'état des choses, mais j'essayais encore de ne pas penser à l'avenir; ragots de village, discours qui sonnent faux, pleurs, amis dévastés, famille dévastée, tout ça semblait impossible, inacceptable, lointain, presque plus que l'idée de prendre le bus sans te voir courir pour le rattraper.

Puis j'en ai parlé, tout est soudainement devenu trop réel et le vide a fait place à la tristesse, qui a elle-même cédé à la colère et au dégoût. Voir certains te respecter plus morte que vivante me rends malade, écouter des gens s'excuser encore et encore pour soulager leur conscience me rends malade, la vue de cette foutue gare me rend malade, les messages copiés-collés me rendent malade, ce village, ce monde tout entier me rendent malade et ce qui me tue le plus c'est que je suis exactement comme eux, je n'ai pas cherché à reprendre contact depuis les trois ans qu'on a passés ensemble et en toute honnêteté si tu n'étais pas morte je ne me serais sûrement pas plus inquiétée pour toi que ça. C'est dégueulasse, mais c'est vrai. S'excuser à un cadavre est égocentrique, s'autoflageller l'est tout autant et la seule manière de t'honorer est d'assumer notre passivité à tous et d'être honnêtes envers nous-mêmes, maintenant qu'on ne peut plus l'être envers toi.

Tes parents demandent qu'on vienne à la cérémonie habillés en couleur, et je crois qu'ils ont raison de le spécifier. Comme j'ai beaucoup eu l'occasion de le répéter ces deux derniers jours, les enterrements ne sont pas faits pour les morts, mais pour les vivants. Et si tu nous voyais, nous, les vivants... on se raccroche à des souvenirs, à des délires, à des promesses et des paris jamais tenus, à des lieus, aux uns aux autres pour ne pas sombrer, pour ne pas perdre de vue qu'on mérite le droit de vivre et de sourire autant que toi le méritais. On te doit bien ça. On se doit bien ça. Il nous faudra juste un peu de temps.

On a pas besoin de savoir pourquoi. On veut juste que tu saches qu'on fait de notre mieux pour accepter ta dernière volonté.

Et pour ma part, je te promet que je ne répéterai pas mes erreurs une seconde fois, et qu'il n'y aura pas une pizza que je mangerai sans penser à toi.

See ya,

Zoé

~Quand les mots s'envolent~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant