red eyes ; bbh

Darker Night

Double update
je vous conseille de lire le chapitre précédent si vous l'avez manqué

            Jaegae* était une petite ville portuaire située dans le district de Jindo, dans la pointe sud de la Corée. La paisibilité de la presque-île avait récemment été perturbé par des disparitions mystérieuses et des morts soudaines, des cas pareils à ceux qu'on avait connu dans les villes du Nord. Certains croyaient au retour de la maladie, d'autres avaient établi leurs théories sur les créatures mystiques et les rumeurs d'un archipel habité par les démons du Mont Baneo, dont les falaises surplombaient Jaegae, avaient alors couru. Cette situation était vaguement familière pour l'ombre qui observait la ville, assise aux pieds, littéralement, de l'immense statut du général Kim, qui avait autrefois servi pendant une guerre entre les deux Corées et qui gardait à présent l'entrée de la montagne.

Aucun bruit ne venait perturber le calme des rues endormies. La lumière de la pleine lune perçait à travers les nuages qui s'étaient installés dans le ciel et recouvraient la ville d'un voile clair, d'une lueur fantomatique. Les vagues se frottaient paresseusement aux rochers qui bordaient la côte, une petite brise fraîche venait bercer la végétation qui s'étalait au pied du Mont Baneo. Yulyeong et Jaegae se ressemblaient en beaucoup de points. Mais à la différence de la première, caractérisée par une atmosphère angoissante et un sentiment d'insécurité, Jaegae était une ville calme, apaisante. Du moins, c'était ce que Yujin ressentait. Elle n'était pas certaine que les habitants victimes des attaques de ses pairs avaient la même définition d'apaisement et de sérénité.

La jeune fille n'avait pas perdu ses habitudes et appréciait toujours autant les balades nocturnes, peut-être même plus puisque ses sens s'étaient développés pendant sa transformation. Le besoin de s'éloigner, d'être seule à un moment donné de la journée pour se ressourcer - dans son cas, la nuit - se faisait ressentir, encore plus que lorsqu'elle était humaine. Après tout, elle n'avait plus rien à craindre des dangers de la nuit. C'était même d'elle dont il fallait se méfier, à présent.

Yujin n'était plus la proie, mais le prédateur.

Les rôles s'étaient inversés.

Ce n'est qu'aux alentours de deux heures du matin que Yujin trouva de quoi combler son ennui et satisfaire sa faim grandissante. De là où elle était, c'est-à-dire perchée sur le socle de la statut d'un général dont elle ne se souvenait pas le nom, la brune avait une vue panoramique de la petite ville. Elle aperçut alors l'ombre titubante d'une silhouette en contrebas, dans l'une des avenues qui longeaient le fleuve Yeongsan. L'impression de déjà-vu frappa Yujin lorsqu'elle sauta de son perchoir et atterrit au pied de l'immense monument. Elle avait le vague souvenir d'un claquement métallique, d'avoir pensé que c'était un animal, un rat, qui la poursuivait alors qu'en réalité, c'était la mort à ses trousses. Elle revoyait les dizaines de miroirs qui reflétaient son image mais pas celle de son adversaire, aujourd'hui devenu allié. Yujin secoua la tête pour chasser les souvenirs de son esprit. C'était un temps révolu.

La jeune fille se dirigea d'une démarche légère et habile, presque insouciante, en direction de la plage où l'attendait son futur repas. Elle avait rapidement oublié ses valeurs éthiques, elle qui refusait encore il y a quelques mois de cela de se nourrir d'animaux sauvages. Avec le temps, la compassion que ressentait Yujin envers les humains s'étaient mués en indifférence. L'empathie s'était terni, tout comme la honte de perdre le contrôle de ses sens à la vue du sang.

Elle était ce qu'elle était, et pour l'instant, c'était elle qui se trouvait en haut de la chaîne alimentaire.

Yujin se glissa dans l'ombre de sa proie jusqu'à s'y confondre. Ses pas mangeaient les siens. Ses yeux ne quittaient pas un seul instant la nuque dénudée du jeune homme qui cheminait avec peine dans la rue déserte. Les battements soutenus et réguliers de son poul, dont la douce mélodie ravissait ses sens aiguisés, s'accéléra lorsqu'il entendit au loin un cri déchirant la nuit.