Acte I : Les première fois - Chapitre 1: Le soldat blessé

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[extrait - version non retravaillée]

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Beaucoup diront que le monde est un endroit sombre, violent et dangereux, habité par des hommes qui ne le sont pas moins. Ceux-là n'ont pas tout à fait tort, il faut le reconnaitre.

Mais ce qu'ils oublient, un peu trop facilement, c'est que l'univers ne se réduit pas à cela. C'est que, dans toute cette bouillasse, parmi ces miasmes et ces flaques de sang trop vite oubliés, on trouve parfois quelques miracles.

Oui, oui, des miracles. Quel autre mot donneriez-vous à ce hasard extraordinaire – si extraordinaire qu'il suffirait à lui seul à faire croire au destin –, à ce concours de circonstances si formidable qu'il amena à se rencontrer deux hommes parmi les milliards qui grouillent sur cette terre, deux hommes en apparence si différents, deux hommes qui n'évoluaient même pas dans les mêmes milieux, deux hommes qui n'avaient pas la même histoire, deux hommes que rien ne portait à se croiser, mais deux hommes qui, une fois trouvés, ne purent tout simplement pas envisager une vie l'un sans l'autre, tant ils étaient faits pour exister côte à côte.

Moi, j'appelle ça un miracle.

Quant aux deux hommes en question, leurs noms vous les connaissez déjà, le monde entier les connaît déjà.

Le premier s'appelait John H. Watson, et se trouvait, au tout début de cette histoire – car il faut bien la commencer quelque part – tout à fait démuni.

C'était en 1881, à Londres, en hiver. Watson avait à peine trente ans, mais il avait l'impression d'avoir tout vécu. La silhouette cassée, fatigué en permanence, la taille trop fine du poids qu'il ne parvenait pas à regagner, la peau tannée par le soleil de ses cauchemars, il errait dans l'immense capitale industrielle comme une âme en peine, à peine le fantôme de lui-même.

Il avait survécu à tant de choses, Watson. Il s'était battu avec courage, toute sa vie, jusque-là.

Il avait survécu à son père, cette espèce d'ivrogne à la main un peu trop leste qui n'avait jamais surmonté la disparition de sa femme, morte en couche.

Il avait survécu à son frère, qui ne tarda pas à suivre les traces de son paternel et à développer, en prime, des tendances suicidaires dont il fallait sans cesse le dissuader.

Il s'était battu, avec une bonne humeur et une bienveillance constante, pour faire des études de médecine à l'Université de Londres. Ce temps-là faisait certainement partie de ses plus heureux souvenirs. Tout le monde l'aimait, Watson, les professeurs comme les élèves – des deux sexes, je me dois de préciser. Il irradiait de courage, de bonté, d'honnêteté, et de quelque chose en plus, qui faisait que tous ceux qui lui parlaient avait l'impression d'être, pour un instant, la personne la plus intéressante de l'univers. Il avait une telle capacité d'écoute, et tant de rêves à revendre, qu'il ne tarda pas à noircir ses carnets d'histoires d'aventures, de romances illicites, et de personnages impossibles.

Puis, en 1878, il se rendit à Netley, pour devenir chirurgiens de l'armée, ce qu'il réussit sans grande difficulté. On le désigna comme aide-major pour le cinquième régiment de Northumberland, en garnisons, aux Indes.

Les Indes.

Avec quel enthousiasme le jeune Watson monta sur ce bateau ! C'était une terre inconnue qui l'attendait là-bas, c'était l'aventure, le mystère, enfin ! Il croyait déjà sentir les épices exotiques, et chaque mouvement faisaient naître dans son esprit romantique les courbes de danses envoutantes dans des harems fantasmés.

Bien sûr, il y avait tout cela, en Inde. Mais il y avait aussi la guerre. La mort.

Watson découvrit plusieurs choses, là-bas. D'abord, qu'il était – personne n'en avait douté – un excellent médecin, aux nerfs solides et au courage inappréciable, le type d'homme à avoir à ses côtés dans toutes les situations à risques.

Les Amants de Baker Street [publié]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant