Prologue ✓

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Angleterre 1835,

Dans les rues sales et malodorantes de St-Giles, à cinq heures du matin, une maigre petite fille en guenilles, âgée de huit ans, errait en quête de nourriture. Le regard cerné par le manque de sommeil, la bouche sèche, Lucille était bien décidée à trouver quelque chose à manger. Depuis deux jours, elle était affamée. Ce que la colocataire de sa défunte mère lui avait dit lorsquelle lui avait demandé à manger ? « Ma pauvre Lucille, réfléchis un peu. Ta pauvre mère est morte de la syphilis hier, et tu penses déjà à manger ? Tu dvrais plutôt penser à travailler ma cocotte. Écoute-moi bien, jaccepte de théberger car tu nas personne dautre dans la vie, mais je nte nourrirai sûrement pas. Jai bien trop de mal à payer le loyer de cet appartement croulant pour en plus moccuper dune gamine en âge de se débrouiller. Jveux bien te donner un morceau de pain aujourdhui, mais cest la dernière fois. Désormais tu dois tdébrouiller seule. Allez ouste, hors de ma vue maintenant ! » Au moins lui avait-elle donné un petit morceau de pain ce jour-là, mais désormais, il faudrait quelle se débrouille. Il devait bien se trouver un petit boulot pour une fille de son âge Sinon, elle devrait se résoudre à faire la même chose que les autres enfants vagabonds de son âge : voler pour se remplir la panse. Mais à peine y songea-t-elle que les mots de sa mère lui revinrent en tête : « Luce ma chérie, on na pas grand-chose, mais voler cest pire que mendier son pain. Tu ne devras jamais faire une chose pareille. On pourrait te tuer ou te couper le bras pour une simple miche de pain. Je ne le supporterais pas ma chérie, fais tout mais ne vole pas. »

En pleine rue, elle soupira. Ces paroles étaient bien belles, mais aucune personne sensée et à sa place nen aurait tenu compte, car elles venaient dune prostituée. Cétait un métier courant dans ces rues malfamées, et comme plusieurs autres femmes, sa mère avait fini par contracter une maladie mortelle, dans la fleur de lâge. Il sagissait de la syphilis, qui lavait tuée à petit feu durant de longs mois, et comme elle navait pas eu les moyens de se payer les services dun médecin, elle sétait tournée vers un apothicaire, chez qui tous leurs voisins se ravitaillaient. Il lui avait vendu quelques potions quelle avait bues, mais avait finalement succombé à la maladie. Lucille soupçonnait la colocataire de sa mère davoir fouillé dans leurs affaires durant son absence pour sapproprier leurs dernières économies. Mais que pouvait-elle faire ? Laccuser ouvertement ? Certainement pas. Au moins avait-elle encore un toit sous lequel sabriter pour linstant.

Puis la petite fille eut une violente quinte de toux : elle venait de passer devant une usine délabrée où lon fabriquait du tabac. Elle vira à droite en pressant le pas, évita les flaques deaux puantes et continua sa route. Un chien aboya à son passage et elle serra les dents en continuant sa marche, elle ne supportait pas ces bestioles... Elle marcha encore un peu et aperçut une auberge, celle quelle ciblait. Elle serra donc létoffe épaisse quelle avait en main, le cur gonflé despoir. Ce nétait pas nimporte quel établissement, cétait celui du vieil Anibal. En général, les clients ny venaient pas seulement pour dormir ou se saouler, mais pour y consommer aussi un tas de cochonneries, censées les faire « planer » comme ils disaient. La motivation qui poussait la petite fille à sarrêter à lentrée de ce lieu était le fait que souvent, de grands messieurs en sortaient très tôt le matin, pour ne pas être vus ou reconnus, cherchant à se faire cirer les bottes et nettoyer les vestes pour paraître présentables à leur retour dans les beaux quartiers de Mayfair ou ailleurs. Lucille se cala contre un mur et attendit patiemment. Elle neut pas le loisir de sennuyer très longtemps ; bientôt, la porte de lauberge souvrit et trois hommes bien habillés en sortirent.

Un homme très grand et musclé, à la peau basanée, aidait un vieil homme à marcher en lui prenant la taille dune main et en passant son autre bras autour de son cou. Le vieil homme semblait avoir consommé beaucoup de saletés car il puait ces substances par tous les pores, ses cernes étaient bleus et il divaguait comme sil était dans un autre monde. Lhomme tout en muscles, dont elle ne distinguait pas les traits, fit monter le vieil homme dans une belle voiture avec armoiries et y entra à son tour. Le troisième homme ne les imita pas, mais observa les alentours dun air sombre. Elle ne put voir son visage, mais remarqua tout de suite que ses vêtements fringants étaient en fort contraste avec ses bottes cirées, qui étaient maculées dune substance dégoûtante. Elle songea que cétait sa chance et se rapprocha de lui.

Les Trois Filles Du Marquis De Shrewsbury [Édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant