Regent Park, 11heures 50...
Lucille attendait devant le parc qu'un fiacre non occupé circule. Elle était pressée de partir tout d'un coup. Alors que sa journée avait bien débuté, la scène à laquelle elle avait assisté fortuitement lui avait coupé tout envie de s'attarder dans ce jardin public. Elle repositionna la bandoulière de sa sacoche sur son épaule afin que cela ne lui soit plus trop lourd à porter et resta debout. Certains messieurs lui firent de l'œil, lui sourirent, d'autres la frôlèrent exprès en passant près d’elle et elle sentit ses joues s'empourprer malgré elle. C'était embarrassant d'attirer autant l'attention de tous ces hommes, elle savait son corps désirable, mais son visage était tout à fait anodin.
— Mlle Lloyt, je suis content que vous soyez encore là. J'ai eu peur que vous ayez déjà emprunté un fiacre, fit une singulière voix grave derrière elle.
La jeune femme, surprise, se retourna brusquement pour regarder l'intrus, il portait un ensemble veste noire avec des bottines de la même couleur sur une chemise et une cravate de soie blanche. Ses cheveux noirs un peu longs ondulaient sur un côté de son front et dans son cou large, tandis que ses yeux bleus vifs la dévisageaient de la tête aux pieds sans la moindre discrétion. Elle se sentit gênée sous l'inspection d'un homme aussi séduisant et se retourna donc mécaniquement, comme si de rien était pour se concentrer de nouveau sur la route. Le duc vint se tenir à son côté et la frôla presque. Elle se sentit toute petite et insignifiante à son côté mais elle ne le montra pas. Qu'est-ce qu'il lui voulait ?
— Depuis tout à l'heure, il me semble que vous ayez décidé de m'ignorer, commenta-t-il en glissant ses mains dans les poches de son pantalon.
Aucune réponse.
— Votre mise d'aujourd'hui change de l'aspect rigide que vous donnez d'habitude, reprit-il de sa voix grave et neutre. Mon amie vous a même pris pour une lady, charmant n'est-ce pas ?
Pour toute réponse elle serra son sac plus fort contre elle. De taille moyenne, elle percevait très bien le regard de son voisin sur sa gorge découverte et sur son décolleté léger en V. Très mal à l'aise, elle remonta un peu le col de sa robe de sa main libre, pour cacher sa peau laiteuse.
— Ce n'est pas très poli de laisser les gens parler seuls, souligna son voisin sur un ton indéchiffrable, surtout lorsqu'il s'agit de votre supérieur.
La jeune femme se mordilla la lèvre inférieure. Comment avait-elle pu oublier quelle place elle tenait en société ? On n’ignorait pas un duc lorsqu'on était une simple gouvernante. Elle inspira et expira fortement avant d'oser prendre la parole.
— Je vous présente toutes mes excuses, Votre Grâce, fit-elle d'une voix sèche en regardant droit devant elle.
— Regardez-moi, je vous prie, insista-t-il en posant une main sur son épaule.
Comme brûlée par sa chaleur, elle se dégagea brusquement, recula de quelques pas et se tourna sur le côté pour se mettre à marcher rapidement. Il était hors de question qu'elle resta là, à discuter avec un noble ! Même s'il l'avait aidé par deux fois, cela ne signifiait pas que ses intentions étaient bonnes.
— Mlle Lloyt, s’obstina le duc.
Lucille entendait les bruits de ses pas rapides derrière elle, qui se confondaient presque aux siens. Mais elle ne ralentit pas l'allure, son instinct lui disait d'éviter le plus possible cet homme un peu trop séduisant.
— Mais qu’avez-vous à la fin ? s’écria-t-il de sa voix distinguée et impatiente. Vous aurais-je donné des raisons d'avoir peur de moi ?
— Votre Grâce, je vous prie de cesser de me suivre, rétorqua-t-elle, je n'ai rien contre vous, c'est juste que je n'adresse pas la parole aux aristocrates, à part lorsqu'ils sont mes employeurs.
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Les Trois Filles Du Marquis De Shrewsbury [Édité]
Fiksi SejarahAngleterre 19e siècle, La belle, l'infirme et la bâtarde. C'est ainsi que l'on surnomme les filles de lord Kent, le marquis de Shrewsbury dans la bonne société londonienne. Ces surnoms ne sont pas infondés, entre Lucille qui est la fille illégitime...