Chapitre 1 ✓

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Deux ans plus tard, Londres 1853, Kensal Green...

L'attelage du comte de Bedford se gara devant l'un des cimetières les plus anciens de la ville. C'était là qu'était enterrée sa petite sœur, celle qu'il avait aimée et qu'il avait voulu protéger comme personne. Cela faisait déjà deux ans, mais il avait encore du mal à imaginer qu'elle soit réellement six pieds sous terre. Quel gâchis ! Edna avait été une jeune fille pleine de vie, talentueuse, intelligente, passionnée, indépendante et très affectueuse. Jamais, alors qu'il l'avait aidée à obtenir un poste de dame de compagnie, il n'aurait imaginé que ce travail lui aurait coûté la vie, elle n'avait que vingt ans... Après que son visage avait été défiguré par de l'eau bouillante, elle avait souffert de tant de douleurs atroces que, n'en pouvant plus, elle avait fini par se suicider une semaine après le drame, en se tranchant les veines. Lord Steven avait cru mourir à l'annonce de son suicide et deux ans après, il souffrait encore.

Le cimetière se tenait sur vingt-neuf hectares de terrain ; il se mit donc à marcher lentement, longeant les allées de ce vaste endroit pour rejoindre la tombe de sa demi-sœur. Il était le fils unique de son père, décédé un an auparavant. Quant à sa mère, elle était morte suite à une épidémie de grippe qui avait sévi vingt ans plus tôt, et son père n'avait pas voulu se remarier. Alors, il avait pris une maîtresse moins de deux années après. Steven, âgé d'à peine huit ans à l'époque, n'avait pas vu cette relation d'un mauvais œil, car Michèle Perl, une jolie vendeuse dans une boutique de vêtements avec qui son père avait entamé une liaison, l'avait beaucoup aimé. Elle s'était toujours montrée gentille et attentionnée, puis elle avait donné naissance à Edna. Il avait vu en cet être une jolie petite fille à aimer et à protéger ; jamais il ne l'avait regardée comme une bâtarde. Quant à son père, la naissance de ce nourrisson l'avait transporté de bonheur. Naturellement, elle avait été la petite favorite de la famille, celle que tout le monde cherchait à rendre heureuse, bien qu'elle vécût loin d'eux, avec sa mère, dans un appartement luxueux que son père avait payé. Le frère et la sœur, en grandissant, étaient devenus très proches, et le jeune homme n'avait jamais manqué une occasion de rendre visite à sa petite sœur, l'emmenant au parc ou allant déguster avec elle des pâtisseries dans de discrets restaurants.

Edna avait pris des cours particuliers avec une préceptrice puis, à dix-sept ans, son frère l'avait aidée à trouver son premier... et dernier emploi. Lorsqu'il avait appris que c'était pour lady Lydia que sa petite sœur allait travailler, il avait essayé de la convaincre de refuser l'emploi, sans succès. Il avait toujours eu vent de la vanité et de l'égocentrisme de cette lady, mais n'avait jamais pensé qu'elle aurait pu faire une chose aussi cruelle à sa sœur. C'est pour cette raison qu'il s'était laissé convaincre aussi vite par sa sœur en la laissant accepter cet emploi. La rumeur disait que c'était un accident, mais il n'y croyait pas ; d'autant plus qu'à cause de cette même femme, lady Lorelei avait également perdu l'usage de ses jambes. Si elle avait pu faire autant de mal à sa propre sœur, combien de fois avait-elle pu faire mal à une simple dame de compagnie comme Edna ? Comme il la haïssait ! Elle n'avait même pas daigné se présenter à l'enterrement.

Seule Lucille, la plus proche amie de sa sœur, l'avait fait. Cette chère Mlle Lloyt, elle, n'avait jamais connu la nature de sa parenté avec Edna, c'était un secret bien dissimulé depuis plusieurs années, qu'il comptait bien garder, jusqu'au jour où la vengeance qu'il préparait allait aboutir. Lady Lydia n'avait pas seulement causé la mort d'Edna, mais aussi celle de son père, qui avait reçu la nouvelle du décès de sa fille comme un poignard en plein cœur. Il avait d'abord eu une attaque, avant de se laisser mourir à petit feu. Depuis un an, Steven avait eu l'impression de tout perdre ; en recevant ce titre de comte, il n'avait plus de sœur, plus de père. Au moins ce titre constituait-il un sérieux avantage, lorsqu'on voulait briser une jeune personne superficielle, qui visait des titres de noblesse toujours plus importants.

Les Trois Filles Du Marquis De Shrewsbury [Édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant