Vendredi

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C'est vendredi, jour de garde de mon pauvre père. Dans la voiture, l'angoisse monte et je la cache dans les poches de mon manteau. Le regard perdu dans le paysage défilant face à moi, je pense. Je ferme les yeux, m'évade et prends le large vers ce qui m'attend. 

Je ne serais plus une jeune fille, je ne serais plus une sœur : je serais mère. Je peux déjà sentir l'odeur poignante de l'alcool, goûter la pluie de larmes couler sur mon visage. Je peux déjà entendre les pleurs qui déchirent le silence religieux de la nuit, les cris semblables aux pleurs du loup au clair de lune. Je respire difficilement, cage thoracique bloquée par la peur de nouveaux évènements encore plus dur les uns que les autres, plus traumatisants. Le soir dans ma chambre, je me surprendrai à pleurer, regard fixé sur les étoiles dans l'ultime espoir de recevoir une quelconque aide, mes larmes silencieuses s'alliant avec la tranquillité de la nuit. La lune veillera sur moi jusqu'à ce que je ferme mes yeux lourds de fatigue, me bercera, moi et mes rêves....

La voiture s'arrête devant la maison brisant ma rêverie. Il est dix-huit heures,  un homme au regard vide se tient dans l'embrasure de la porte, sur son masque se dresse un sourire sonnant cruellement faux auquel je répond par un "papa!" qui s'ensuit d'un câlin. Deuil de mon enfance pour un weekend, pour toujours finalement. Je pose un pied dans l'entrée. Un tourbillon de forces maléfiques s'emparent de moi, la fumée des enfers s'immisce dans mes vêtements, mes cheveux, mes petits poumons. Je m'empresse de monter dans ma chambre déposer ma valise pour appréhender seule, le moment du repas et ce qui vient après.

Pour ne pas changer au menu de ce soir c'est: patate. Mon père boit son énième pastis et fume sa énième cigarette dans la maison, ma petite sœur, elle, mange aussi mais sans grand appétit quand à moi je mange avec un nœud dans la gorge qui ne fait que grossir à chaque bouchée que je prend. Le repas se fini vite, mes yeux piquent, mon cœur bat vite,  nos deux chats se battent et je fais mine d'écouter mon père, qui pleure encore et nous parle de son enfance, de ce qu'il a enduré et de comment ma mère a réagi à certaines choses qu'il lui avait révélé, seulement une fois qu'il furent mariés.Je fais mine de l'écouter maudire le monde entier, ma famille maternelle, les hommes politiques, son patron... alors que c'est lui tous seul qui est tombé dans cette maladie qui ronge ce qu'il a de plus cher, sans aide, aucune. Je monte me coucher, triste, vide de sentiments. Mon cerveau se met en mode veille pour la nuit, je lis, pour échapper à cette vie qui est la mienne, pour voyager dans des contrées aussi apocalyptiques que mon destin, rencontrer des gens qui me comprendront et me permettront de vivre une vie, une vraie, qui correspond à mon âge, mes envies et mes espoirs.

Je réfléchi, beaucoup, à mon avenir, au futur, de quel couleur sera t-il ? Blanc ou noir ? Bon ou mauvais? Je n'aurais la réponse que grâce aux années qui passent, au temps qui avance et à moi qui grandit, aux gens que je serai amener à rencontrer et aux décisions qui m'animeront.

La lune est haute dans le ciel, un concert de respirations paisible à lieu dans la maison, la lumière est éteinte, je peux enfin tout lâcher pour mieux recommencer une fois le jour levé. Oui, j'ose tout lâcher parce que ce sont les seuls moments de ces week-ends où quelque chose de bien m'arrive, où je peux baisser les bras pour mieux tout porter après,  parce qu'à 10 ans, ce genre de situation nous dépasse, nous fais grandir plus vite qu'on ne l'aurait voulu ou prévu tout simplement. Parce que oui ça fait peur quand on ne sait pas comment réagir sauf quand on voit une petite fille du nom de: sœur, être inconsciente et comprendre encore moins bien que vous. Pour cette raison vous vous devez de vivre, survivre en faisant les meilleurs choix possible.  

Le rossignol dans un verreWhere stories live. Discover now