5.

403 50 3
                                    

     Elie ne bougeait plus, ne respirait même plus. Les yeux rivés sur le siège de Lisa, son esprit s'était égaré très loin. Sur un lac rougeoyant.

— Lisa, bébé, réponds-moi, suppliait Max.

— Elie, que s'est-il passé ? demanda doucement Jean.

     Elie secoua la tête comme pour s'échapper d'un mauvais rêve, ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit.

— Putain, lâcha David en se dévissant le cou pour tenter de repérer la jeune femme.

— Elie, répond s'il te plait. Est-ce que Lisa va bien ? insista Jean.

— Non...

     Le regard posé sur le dossier du siège de Lisa, Elie observait l'endroit où sa tenait sa tête quelques secondes plus tôt.

— Je suis désolée, Max, poursuivit-elle sans pouvoir conclure.

— Non, non, je... je t'interdis de dire ça ! la coupa le trentenaire en vociférant. Ferme-la, t'as compris ?

     Plus personne ne parlait. Seuls les sanglots et les hoquets de Max résonnaient dans la pièce plongée dans la pénombre. Les spots s'étaient éteint et seul l'écran de télévision fonctionnait encore. Le visage masqué de la marionnette de Jigsaw fixait Elie par-dessus le siège de Lisa.

     Le fusil reprit sa place et le manège sa danse macabre, tournant plusieurs fois, ralentissant devant chaque personne qui respirait encore avant de finalement s'arrêter, Jean face à l'écran.

— Pourquoi est-ce que toi, tu ne joues jamais, David ? interrogea soudain Max entre deux sanglots, accentuant le prénom de son ancien ami.

— Je suis pas en train de jouer tout comme vous peut-être, là ? répondit ce dernier d'un air lassé.

— Tu n'as eu droit à aucune question ! j'aimerais savoir pourquoi ! hurla Max en s'escrimant sur son harnais.

Jean, le coupa la silhouette, penses-tu que ta petite amie soit liée à tout ça ?

— Je pense que vous avez un rapport avec elle, oui, répondit Jean immédiatement.

Alors réponds à ma question : as-tu toujours confiance en ta compagne, Jean ?

— Oui, souffla-t-il sans même une hésitation.

— David, continuait Max tandis qu'un coup de feu partait dans les airs, réponds-moi ! Mais pourquoi ne lui posez-vous pas de questions à lui, bordel ?

Parce qu'il n'a rien d'autre à perdre que lui-même, le fit taire l'individu déguisé.

     Un nouveau silence pesant s'installa, heureusement - ou malheureusement - très vite écourté par la voix grésillante.

Jean, tu n'as jamais voulu prendre part aux conflits. Toujours en train de fuir. Aujourd'hui, je te mets face à un choix. Et tu ne peux pas t'enfuir. Jean, ce choix s'offre à toi. Si tu n'arrives pas à te décider, c'est toi qui mourras. Laisse moi te raconter une histoire : un homme rencontra une femme, en couple. Il vit en elle une folie semblable à la sienne et décida d'en jouer. Alors l'homme pervertit la femme et fit d'elle ce qu'on peut qualifier de disciple. Non satisfait des résultats de sa nouvelle conquête, cet homme, qui avait un ami en commun avec la femme, demanda à cette dernière de l'aider à pervertir la femme de son ami. Et la femme obéit. Et au milieu de tout ça, deux hommes, deux pions manipulés par tout le monde, qui ne se doutaient de rien. Jusqu'à aujourd'hui.

     La voix s'interrompit un moment, laissant à son discours le d'imprégner ses auditeurs.

Maintenant que tu connais un peu mieux le fond de l'histoire, Jean, je vais t'exposer ce choix, voulut continuer la silhouette.

— Qu'avez-vous à voir avec tout ça ? le coupa Jean comme si le monologue de leur tortionnaire lui avait fait autant d'effet qu'un nuage blanc poursuivant sa route dans le ciel au-dessus de sa tête.

Là n'est pas l'intérêt de tout ça, répondit l'individu masqué.

— Pour moi si, enchaîna Jean sans se démonter.

— Jean, attention s'il-te-plait, le tempéra Elie.

C'est dommage pour toi. Voilà maintenant ton choix : tu dois choisir laquelle des quatre personnes ici présentes mourra. David, l'homme incapable de résister à l'envie de posséder une femme, manipulant les gens et mentant à ses amis. Elie, une femme qui ne t'a jamais aimé autant que tu l'aimes, et ne t'aimera jamais de cette façon. Qui te trompe sans scrupules et piétine l'amour que tu lui portes, mêlant ses amis à ses débauches en les manipulant. Ou Max, l'ami fidèle, toujours auprès de toi après toutes ces années, qui a été là pour chaque moment difficile de ta vie. Le choix t'appartient, Jean.

     « Putain de bordel de merde ! » fut l'unique réponse de l'homme à la trentaine passée.

— Quelle pute, ragea Max. Espèce de salope !

     Entre son cœur qui battait la chamade, ses joues en feu et son crâne qui lui faisait un mal de chien, Jean était incapable de réfléchir. Elie, tétanisée, retenait son souffle dans l'attente du verdict. Remplie de culpabilité et de peine pour son compagnon, elle observait l'arrière de la tête de gens qui dodelinait de gauche à droite. Elle ressentait sa tristesse, son incompréhension.

     David, lui, s'était repris après la narration de cet étrange chassé-croisé amoureux et il réfléchissait. Il détaillait son siège et les alentours, cherchant un moyen de s'échapper, sachant pertinemment qu'il risquait de mourir sous peu point. Max, entre deux reniflements bruyants, riait aux éclats, un rire hystérique, pathétique.

     Et Jean répondit. Elie poussa une exclamation, David se mit à secouer vigoureusement son siège, et Max à rire plus fort encore, rejetant sa tête en arrière.

     Le manège exécuta de nouveaux tours de piste, très lentement, jouant avec les nerfs de ses occupants. Les rouages grinçaient, annonçant la mort toute proche. Le mécanisme complexe lié au fusil effectua une manœuvre et disparut un instant dans l'obscurité où il fut chargé, cliquetant avec dédain dans l'atmosphère lugubre entrecoupée du seul rire sinistre de Max. L'arme revint beaucoup trop vite devant eux, le manège s'arrêta, le coup de feu partit.

L'escape game. Tome 1. [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant