Elle fut surprise qu'il se souvienne de son nom. Surprise et surtout, très touchée. Il libéra sa main, à son plus grand dam. Qu'il la touche l'apaisait comme personne avant lui. Bien que peu... aucun garçon, en fait, ne l'avait déjà touché. Tous sur l'île savaient que Adrien Carter la revendiquerait d'ici trois ans. Personne n'osait s'attirer ses foudres.
Bien que pour Say, il était clair que jamais ce sale type ne la revendiquerait de force.
— Je ne plaisante pas, tu vas choper la mort.
— Sans rire. Quelle idée aussi de me fiche la trouille de cette façon, pourquoi tu me suivais ?
— Sors, s'il te plaît. C'en devient ridicule.
Oh, elle n'en doutait pas une seconde.
— Si j'étais comme mon frère, Say, continua-t-il, je t'obligerais à sortir.
— Tiens donc.
Les Alphas possédaient tous une pure énergie capable de tout écraser sur leur passage, mais celle d'Ash était pire que toute celle qu'elle avait déjà perçue. Sans qu'il ne tente de la dominer, elle pouvait sentir cette force dresser les poils de sa nuque.
— Mais tout le monde sait que je suis bien plus futé que cet imbécile. Que fait-il que je fasse pour t'éviter une noyade ?
— T'éloigner ?
Avec un sourire mi-amusé, mi-blasé, il s'exécuta.
— Comment va maman Warren ? lança-t-il.
— Très bien.
— Elle a été invitée chez mon père récemment ?
— Oui, répondit-elle en se préparant mentalement à la transformation. Ton cher papa veut que j'épouse ton imbécile de frère. Tu y crois ça ?
Si elle avait levé les yeux sur lui à cet instant, elle aurait remarqué ses poings fermés par une fureur extrême.
— Pourquoi erres-tu sur le territoire de ma meute, Sayana Warren ?
Elle n'avait pas entendu quelqu'un prononcer son prénom complet depuis des lustres. Ça prouvait qu'il ne l'avait pas oublié. Cette idée lui plut étrangement beaucoup.
— Rien, je me promène.
Elle n'allait pas lui avouer qu'elle mourrait d'envie de savoir s'il était réellement rentré et que pour ça, elle avait piétiné l'une des premières règles de l'île.
Tout en observant un oiseau au plumage bleu pendu dans les hautes branches au-dessus de sa tête, Ash remercia le hasard de l'avoir mise sur sa route.
— Il faut être suicidaire pour pénétrer le territoire des Carter, Say. Surtout pour une louve solitaire.
— Tu vas me balancer ?
Say leva les yeux au ciel alors qu'elle s'agenouillait, prête à reprendre sa forme animale.
— Bien-sûr, c'est trop mon genre.
— Et toi alors, pourquoi es-tu ici ?
« Pour te sauver, songea-t-il. »
— Pour déjouer un des plans de mon père.
— De quel genre ? Tu comptes te venger pour ce qu'il t'a fait ? Si j'étais toi, je crois que je le ferais.
— Je vais faire bien plus que me venger. Je vais les rendre fous de rage et les battre à leurs propres jeux.
Say haussa les épaules. Elle ne comprenait pas vraiment l'ampleur des paroles d'Ash, mais elle s'en fichait. Elle l'aimait l'entendre parler. Elle appréciait les vibrations de sa voix qui traversaient son âme à chaque fois qu'il ouvrait la bouche.
— En fait, je me demandais ce que tu faisais ici, à cet instant précis.
— J'ai senti ton odeur, donc je t'ai pisté. J'ai demandé à un de mes lieutenants de tirer quelques coups de feu pour t'éloigner de la maison. S'il t'avait trouvé, mon père en aurait profité pour foutre une nouvelle fois la pression à ta mère. J'ai appris, depuis la mort de ton père, qu'il voulait vous obliger à entrer dans la meute.
Un long frisson d'horreur parcourut le dos de l'adolescente.
— Oui, sauf qu'il n'y arrivera jamais. On est des solitaires, on le restera pour toujours.
— Pour toujours, Say, vraiment ? Tu n'as jamais envisagé d'entrer dans une meute... par amour, par exemple ?
Elle le regarda, étonnée par cette question. Il lui offrait toujours son dos, elle put donc observer sa vieille veste en cuir marron qui couvrait ses larges épaules, son jean noir qui moulait à la perfection un fessier de rêve... quand elle pensait au mot « amour », immédiatement le visage estropié d'Ash et pourtant d'une beauté sauvage, s'imposait à elle. Depuis leur première rencontre. Elle se mordit la langue pour ne pas le lui avouer. À la place, elle se transforma. Passer d'humaine à loup était bien moins douloureux que le contraire. Parfois, elle hésitait à rester sur ses quatre pattes.
Une magnifique louve au pelage roux doré remplaça la jeune femme. Ash revint, essayant tant bien que mal de contenir son propre loup.
Sayana Warren. Il s'était promis de la sortir du pétrin dans lequel elle allait être jetée sans ménagement. Restait à lui faire accepter de le suivre et de quitter les siens. Il refusait de voir Adrien au bras de cette fille qu'il avait aimée.
Et qu'il aimait toujours, visiblement, même des années plus tard.
Le problème chez les loups-garous, c'était qu'une fois l'Alchimie installée entre deux êtres, elle ne mourrait jamais. Pire, elle empirait. Selon beaucoup, ça n'arrivait jamais entre les enfants, en général le phénomène se produisait à la fin de l'adolescence. Son père l'avait envoyé à Sainte Terreur dès qu'il avait su. Neuf années. Neuf années et rien n'avait changé. Ash ne se l'expliquait pas et n'en avait pas envie. Il refusait juste de la voir partir avec un autre.
Le jeune homme avança et se planta devant l'animal. Nullement impressionnée, Say s'assit sur les galets humides et inclina la tête sur le côté.
— C'est ce qu'on appelle se défiler, Sayana.
Elle poussa un grondement.
— Tu essaies de m'effrayer ? Je t'en prie, ma jolie, il m'en faut bien plus.
S'il y avait une chose dont elle avait horreur, c'était de l'arrogance et des petits surnoms idiots comme « ma jolie ». D'un coup de langue bien baveuse sur le visage, elle le lui fit remarquer. Il s'essuya d'un revers de manche, oscillant entre le dégoût et le rire.
— Tu veux jouer à ça, Say ? Attends que moi aussi, j'utilise ma propre langue.
Il lui offrit un clin d'œil plein de sous-entendu. Si Say avait été humaine, elle aurait rougi. Un dernier jappement et elle se détourna avant de s'engouffrer entre les arbres. Ash resta longtemps agenouillé, l'attention perdue dans le vide. La présence d'un homme dans les fourrés le poussa à se relever.
— Tu lui en as parlé ?
— Non. Il vaut mieux que pour l'instant, elle ignore le plan.
Son premier lieutenant Kenny poussa un soupir. Une armoire à glace au cœur tendre.
— Tout est prêt, en tout cas. On attend simplement ton signal.
— Bien.
— Mais attention à ne pas te faire chopper. Tu te souviens de ce qui s'est passé quand ton père a jugé que vous deveniez un peu trop amis, Say et toi ?
Inutile de lui rappeler. Il en voulait encore à mort à son paternel. Davantage à son frère, qui avait décidé d'épouser Say dans 3 ans, quand elle atteindrait ses 21 ans.
— Si Adrien se doute de quoi que ce soit, tu sais ce qu'il risque de se passer. Il la prendra de force avant que tu aies pu t'interposer.
Cette seule perspective le révoltait.
— Il n'en aura pas le temps. Allons-y, j'ai des choses à régler du côté de la famille.
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Alchimie et loups-garous
WerewolfChez les Carter, il est de coutume pour l'aîné de choisir son épouse et de la marier trois ans après sa majorité. Poussé par un sombre complot, Adrien Carter choisit Sayana Warren, une louve solitaire qui vit sur l'île depuis toujours. Sauf que tout...