Alchimie et loups-garous

••• 3 •••

Say s'écroula sur son lit, exténuée. Exténuée, mais ravie. Ses retrouvailles avec Ash Carter lui offraient un étrange sentiment de sérénité profonde. Sa louve ronronnait dans sa tête, son cœur battait la chamade et un sourire idiot ne quittait pas son visage. Réaction assez étrange dans le sens où plus elle évitait la meute de l'île, mieux elle se sentait. Sa nature de solitaire, sans doute.

— Où étais-tu ?

Sa petite sœur entra dans la pièce sans demander l'autorisation comme d'habitude. Le concept de territoire lui échappait totalement, et ce, malgré ses treize années d'expérience dans le monde des lycanthropes. Say se redressa sur les coudes et fixa cette petite brune aux cheveux courts.

— Dans les bois. Devine quoi, Ash Carter est revenu.

— Ash Carter ? Le fils de ce taré de Josh Carter ? Il ne manquait plus que lui. Pourquoi tu as l'air contente ?

Say retomba sur son oreiller et haussa les épaules.

— Tu n'as pas eu la chance de le connaître, Camilla. Il n'est pas comme les rumeurs le décrivent.

— Tu veux dire psychopathe, super dominant et taré ? On raconte qu'il a passé la moitié de sa vie à Sainte Terreur, quand même. Sainte Terreur, ce n'est pas rien !

Sa sœur vint s'installer à ses côtés.

— Zut, Say ! Tu sens son odeur à quinze mètres ! Tu lui as parlé ? Tu l'as laissé te toucher ?

— Ne dis pas n'importe quoi, je ne l'ai pas laissé me toucher.

Cela dit, la naine n'avait pas tort. Say dégageait le parfum d'Ash depuis leur discussion. Elle n'arrivait pas à en trouver la raison.

— C'est juste que je trouve ça louche. Tu devrais aller te laver.

Bonne idée. Quand sa mère rentrerait du boulot ce soir, elle allait se faire cuisiner sans reprit. La femme n'appréciait pas ses escapades sur les territoires de la meute des Carter. Trop dangereux.

Say se leva et quitta la chambre. Quelques minutes plus tard, elle se glissa sous le jet bouillant de la douche. Le liquide détendit ses muscles, balaya les effluves de la forêt qui lui collaient à la peau et lui permit de réfléchir. Surtout sur la manière dont elle se comportait en compagnie du jeune homme, alors que des années les avaient séparés. Comme si rien n'avait changé, ils s'étaient retrouvés.

C'est trop bizarre, pensa-t-elle. Réfléchis, Say ! C'est un mec dangereux ! Tu sais comment il est...

Oh oui, elle le savait. Quand il avait eu treize ans, quelques semaines avant qu'il disparaisse de sa vie, alors qu'ils se promenaient tous les deux, Adrien Carter les avait surpris ensemble. Ils ne faisaient rien de mal pourtant, ils discutaient et riaient. L'aîné de la meute avait essayé de bondir sur elle, hargneux.

Avant de le regretter aussitôt.

Dans une rage noire, Ash était passé à l'attaque. Ce jour-là, il avait failli tuer son propre frère. Pour elle. Si cette perspective la terrifiait, elle la rendait également extrêmement heureuse.

Say quitta la salle de bain et, quelques minutes plus tard, entra dans la cuisine. Camilla leva la tête de son bouquin, les yeux écarquillés.

— Mon Dieu, Say.

— Quoi ? demanda l'intéressée en prenant une mini boîte de céréales dans l'armoire.

— Tu sens encore Ash Carter.

Elle se figea net. Le parfum délicat du shampoing et du gel douche émanait de son corps, elle ne respirait plus l'odeur du jeune homme.

— Tu es sûre ?

— Oh, certaine ! Et maman arrive, tu vas te faire tuer ! Moi, je me sauve.

Le monstre court sur patte vola son encas et prit la fuite. Say resta sur place, tétanisée et l'estomac vide. L'heure de sa mort approchait.

La porte d'entrée s'ouvrit et une grande femme élancée déboula dans la pièce, les bras chargés de sacs plastiques.

— Aide-moi, trésor !

Say la débarrassa de son fardeau, avant de s'éloigner de plusieurs pas.

— Ça va, maman ?

— Très longue journée.

Immédiatement, Say sentit l'odeur de la meute carter imprégnant sa mère. Elle grimaça. Ça ne voulait dire qu'une seule chose :

— Josh Carter t'a encore sollicité à l'une de ses réunions stupides ?

Voilà pourquoi elle ne sentit pas les effluves d'Ash sur la jeune fille, parce que son odorat était déjà saturé par les odeurs de la meute.

— Plus tard, trésor. Je dois prendre une douche, tu peux préparer le dîner, s'il te plaît ma Say ?

— Que se passe-t-il, maman ?

— Il vaut mieux qu'on en discute après.

Déjà, la jolie brune s'éloignait.

— C'est à propos de la Revendication ?

Sa mère s'arrêta. Say ferma les yeux, lisant la réponse dans la tension de ses muscles.

— Qu'est-ce que tu lui as dit ? Ne me dis pas que tu as accepté ? Maman !

Les larmes lui montaient aux yeux.

— Say...

— Maman, nous sommes des solitaires, lui rappela-t-elle, on ne doit rien à cette meute ! L'île a été séparée en deux pour une bonne raison ! Ils ont leur territoire, on a le nôtre. Alors, pourquoi espérer plus ?

Comprenant que sa fille ne la laisserait pas tranquille le temps d'une douche, Deborah Warren prit place autour de la table.

— Approche, trésor.

La jeune fille s'exécuta.

— Je n'ai rien accepté du tout. Ce mariage reste une proposition afin d'unir deux communautés aux règles différentes. Tu sais très bien que je ne ferais rien sans ton accord.

Et son accord, elle n'était pas prête de l'avoir.

— Je ne laisserais pas Adrien Carter me revendiquer.

— On est bien d'accord, trésor.

— Mais ils n'accepteront pas éternellement qu'on s'oppose à eux, n'est-ce pas ? souffla-t-elle. Avant, papa les tenait en respect. Ce n'est plus le cas. Maman, j'ai l'impression qu'il se trame quelque chose...

Deborah garda le silence. Si Say avait pu lire dans ses pensées, elle aurait su qu'elle n'était pas loin de la vérité.