3. Jasmine

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Regardez, cette jeune fille que vous croisez tous les soirs dans le hall de votre immeuble, c'est Jasmine.

Chaque soir, en rentrant du travail, vous la voyez, assise en tailleur près des escaliers, les écouteurs vissés sur les oreilles. Chaque soir vous vous demandez ce qu'elle peut bien faire ici, cette gamine. Mais vous n'allez pas chercher plus loin, après tout c'est sa vie, elle fait ce qu'elle veut.

Mais en fait, si Jasmine s'assoit ici chaque soir en rentrant du lycée, c'est parce qu'elle ne veut pas rentrer chez elle, quelques étages plus haut.

Chez elle, elle est sûre d'entendre des cris, des portes qui claquent, de la vaisselle qu'on fracasse sur le sol.

Parce que oui, le père de Jasmine est un homme violent. Régulièrement, s'il déclare que sa femme n'a pas fait assez bien à manger, si la maison n'est pas assez propre, il la frappe.

Alors Jasmine s'accorde quelques minutes de répit, chaque soir, enfermée de sa bulle, avant de rentrer aux Enfers.

Evidemment, Jasmine pourrait en parler autour d'elle. Mais elle n'a aucun ami à qui se confier. Elle est comme ça, Jasmine, solitaire. Parfois, elle aimerait pouvoir raconter ses malheurs à une amie, mais toutes les filles de sa classe l'évitent.

Pourquoi ? Parce qu'elle est tellement tout. Tellement belle, tellement intelligente que ses camarades sont jalouses. Tellement discrète qu'elle en devient invisible.

Il y avait bien cette fille, là bas, au premier rang. Elle avait essayé un jour de se mettre avec Jasmine pour un travail de groupe. Seulement, dès qu'elle avait esquissé un geste pour la rejoindre, l'une des filles du dernier rang lui avait lancé un regard qui veut tout dire. Cette jeune fille a donc gentiment regagné sa place. Hé oui, c'est dingue, c'est triste, mais c'est la vie.

Et puis, que pourrait-elle faire Jasmine pour rétablir un peu d'ordre chez elle ?

En parler à la police ? Pour faire venir les gendarmes et qu'ils ameutent tout le quartier ? Non merci. Sa mère aurait trop honte. Et puis même si cet homme est un monstre, il reste son père.

En parler à sa mère ? Même si c'est difficile à imaginer, sa mère aime son mari. Même quand il lui crie dessus. Même quand il la frappe. Elle se dit toujours que ça va passer. Mais ça fait des années qu'il est violent, et ce n'est toujours pas passé.

En parler à sa famille ? Jasmine n'a pas de famille. Elle est fille unique, ses grands-parents sont morts et ses parents sont fâchés avec leurs frères et soeurs depuis longtemps.

Mais vous, vous qui passez chaque soir devant elle, vous qui habitez à côté de son appartement, vous ne savez rien de tout ça. Bien sûr, vous entendez parfois des cris, des bruits étranges, comme des coups sur une table, mais vous ne faites rien, à part taper sur la cloison pour qu'ils se taisent parce que "Ça suffit ce vacarme, y en a qui essaient de dormir !". Sauf que vous ne prenez même pas la peine de chercher la raison de ce vacarme incessant. Vous avez vos problèmes, ils ont les leurs, un point c'est tout.

Lorsque la mère de Jasmine sort de son appartement en même temps que vous, vous ne remarquez pas ses bleus et ses contusions. Vous marchez indifféremment en direction de l'ascenseur, sans un regard.

Parce que c'est comme ça que vivent les gens, maintenant. Sans un regard.

Sans un regardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant