– Sale pute ! grognai-je, balançant la housse du costume sur mon lit avant de m'y jeter à mon tour.
Won avait à peine eu le temps de me demander comment s'était passée ma journée que je m'étais déjà enfuie dans les escaliers branlants, lui offrant un faible « bien » mensonger qui ne lui avait sûrement pas échappé.
Je criai de toutes mes forces dans mon coussin, injuriai ma boss et Ji Ha, les maudissant de tout mon être. Mes jours au Bee-Pretty Shop étaient de pire en pire, comme si ses employées voulaient que je laisse tomber de moi-même. Pour avoir bonne conscience peut-être, se dire que ça n'avait rien à voir avec elles, que de toute façon elles ne m'avaient pas renvoyée de leur plein gré.
Stupides pimbêches, jurai-je à nouveau.
Il fallait l'admettre, leur plan diabolique marchait. Je commençais à me dire que je devais démissionner et trouver autre chose, aussi dur que ça soit pour une Londonienne expatriée et sans talent particulier. Je n'arrivais pas à m'y résoudre. J'avais tellement pris l'habitude de les voir, de sentir ces odeurs piquantes, et surtout de voir ce chèque à la fin du mois. Je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir une pointe d'appréhension vis-à-vis d'un potentiel changement. Peut-être que personne ne voudrait de moi et que je pourrais dire adieu au salaire, et par extension à ma chambre. Won avait beau être un propriétaire conciliant, son nom n'était décidément pas Crésus. Un jour ou l'autre, il m'aurait jeté dehors.
Mon regard se posa sur mon carnet. Il restait sur mon bureau et je refusais de l'ouvrir depuis un moment maintenant. Il contenait toutes mes dettes envers la famille chez qui je vivais. Joon me prêtait de l'argent, me payait des restaurants, et je notais tout là-dedans. J'ai fini par arrêter en voyant qu'il se remplissait trop vite. Le temps se suspendait grâce à ce morceau de cuir. J'oubliais, j'étais revenue trois ans en arrière.
Je n'osais pas l'ouvrir, par peur de me dire qu'il y avait bien plus de dettes que ça, depuis.
Je soupirai, profitant de la lumière du coucher de soleil qui transperçait mes volets mi-clos. Pas d'air, ce soir, juste les derniers chants des hirondelles qui venaient accompagner ma détresse.
– Si seulement il y avait une solution...
Prononcer ces quelques mots me fit l'effet d'une décharge. Non, d'une révélation !
– Il y en a une... !
Subitement, je me relevai. Peut-être un peu trop rapidement puisque je m'écrasai sur ma chaise sans contrôle. J'attrapai le bouquin, déliai la petite ficelle qui le scellait, et commençai à le feuilleter à la recherche d'une page parfaite.
Les nombres défilaient à une vitesse folle, mais je pus quand même voir certains chiffres désolants, prouvant une fois de plus que je n'avais d'autre choix que ce que je m'apprêtais à faire. Du moins, ce que je voulais m'apprêter à faire. C'était sûrement très ambitieux, mais une flamme brûlait en moi, un désir irréversible de rattraper le temps perdu, un temps que je réalisai trop précieux.
Enfin, après avoir tournées voire déchirées une dizaine de pages noircies par l'encre, la première feuille blanche apparut comme une héroïne. Elle était belle, elle était pure. Elle n'était pourtant pas toute blanche, des lignes horizontales la traversait. Comme je n'avais jamais pris la peine d'écrire dessus alors que c'était le but, je me dis que j'allais une nouvelle fois les ignorer. Une imparfaite perfection. Il suffisait de ça pour qu'elles ne dérangent plus.

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Apa, Ana
RomantikaAna est une jeune émigrée atteinte du syndrome de la page blanche. Dépassée par ses dettes et son incapacité à prendre sa vie en main, dans une ville où le chômage et le célibat sont très mal vus, elle tente corps et âme de sortir la tête de l'eau e...