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Le soleil à peine levé dessina une longue ligne lumineuse sur le parquet de ma chambre. Je grommelai, protégeant mes yeux de l'aveuglement.
Les oiseaux partageaient leur vigueur printanière bien trop tôt pour moi. Probablement parce que j'étais une fainéante aguerrie, je ne prenais plus la peine de fermer mes volets le soir. Tous les matins, je me maudissais. Il m'arrivait même de laisser ma lampe de bureau allumée. Mes colocataires avaient beau souligner mon statut de calamité écologique, j'oubliais ça au premier contact de mes draps.
De longues minutes plus tard, Won entendit mes pas las descendre les escaliers dans un râle adressé aux hirondelles. Je dévalai les marches une par une, avec précautions, mais aussi mollesse. Ces planches de bois étaient en piteux état et menaçaient de s'écrouler dès qu'on y posait le pied un peu trop fort.
S'il ne dit rien à ce moment-là, le soupir du vieillard s'exprimait à sa place.
Il fit un simple geste plus ou moins précis, situé vers sa calvitie, accompagné d'une grimace qui étirait ses rides. Il était évident qu'il me parlait de mes cheveux... Du moins, si on pouvait encore appeler ça des cheveux plutôt qu'un nid. Entre les dos d'âne et les trous dans la chaussée, je n'aurais pas été étonnée de voir un jour un de ces oiseaux couver mon cuir chevelu. Ils étaient courts, mais avaient tendance à remonter un peu si je ne les lissais pas et Dieu lui-même avait archivé la dernière fois où ils étaient coiffés.
Je n'avais pas d'occasions particulières de le faire alors je me contentais de les attacher quand il fallait que je sorte. En général, j'apportais peu d'importance à mon apparence.
J'articulai difficilement un bonjour général dès le premier orteil en contact avec le carrelage, froid et immaculé. Même si le petit homme était le seul ici, je n'avais pas le courage d'aller vers lui.
Je me posai négligemment dans le petit fauteuil, en face de la cuisine ouverte et serré dans un coin, laissant les allées du magasin libres, afin de profiter des douces odeurs qui en émanaient. J'avais déjà repéré le petit-déjeuner qui se profilait : des œufs, de la soupe, et surtout ce pain qui ferait jalouser n'importe quel boulanger.
Won me jeta immédiatement un regard noir, puis un léger mouvement de tête désapprobateur. Je savais ce que ça voulait dire. Une fois encore, je pouvais dire adieu à mon réveil en douceur. Si à mon arrivée, c'était le propriétaire le plus adorable à tout faire pour que je me sente à l'aise, après ces cinq années, il ne tenait plus du tout le même discours.
Je me relevai de la place fraîchement trouvée pour le rejoindre, sans vraiment de conviction. Je venais de me réveiller, rien au monde n'aurait pu me donner de l'énergie, pas même l'odeur de nourriture - même si elle était agréable. À la limite, avoir une petite bouchée ne serait-ce que pour valider le goût... Mais force était de constater que le cuisinier n'avait pas l'intention de m'en donner et je savais pertinemment que je ne m'étais pas levée pour le plaisir de baver devant des plats plus alléchants les uns que les autres.
- Besoin d'aide, Won ? me moquai-je, prenant un ton mielleux dans un dernier élan d'espoir.
- Comme toujours.
Il me tendit un post-it où il avait écrit une adresse et souligné la personne à réclamer.
Ce n'était pas une simple tâche, pas le « mets la table » qui m'agaçait mais qui se faisait vite. Cette fois-ci, il me prenait de court et c'était loin - mais alors loin- d'un petit aller-retour de la cuisine à la table. Je fusillai l'homme du regard.
- Tu veux que j'aille voir ce vieux croûton ?! Criai-je, bien plus fort que ce que j'avais prévu. Ce n'est pas Joon qui y va normalement ?
- Plus maintenant. Je me suis dit qu'il travaillait déjà assez. Toi, tu ne fais rien.
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Apa, Ana
RomansaAna est une jeune émigrée atteinte du syndrome de la page blanche. Dépassée par ses dettes et son incapacité à prendre sa vie en main, dans une ville où le chômage et le célibat sont très mal vus, elle tente corps et âme de sortir la tête de l'eau e...