Chapitre 13 : Un simple lien de cuir

9 3 0
                                    

"Je répète ma question : que faites vous ici ? Demanda le dragonnier à la mine sombre.
-Et bien, commença Leo, figurez vous que nous n'en savons rien. A vrai dire, nous marchions et nos pas nous ont conduits ici même ! Mais nous allions nous en aller n'est ce pas Hannah ?
-Heu... oui oui tout à fait, bredouilla celle ci, le rouge au joues."

Peu convaincu, le garde les enmena de force devant la cheffe des dragonniers, afin selon lui, de décider de leur sort. Peu confiants quand à leur avenir, les membres de l'équipage entrèrent dans la plus grande des tentes, et se retrouvèrent devant la femme qui avait assisté au conseil des chefs.

"-Que se passe-t-il Brom ? Demanda-t-elle surprise.
-Je soupçonne ces deux là d'être des voleurs, répondit le garde en baissant la tête humblement."

La femme regardait les deux fautifs avec calme, mais lorsque Leo releva son visage vers elle, elle manqua de s'étrangler. Ce visage...

"-Qui êtes vous ? Demanda la reine, masquant son trouble."

Impressionné, Leo répondit :

"-Je me nomme Leo votre altesse, et voici Hannah. Nous sommes deux membres de l'équipage du Chronos.
-Je vois ..."

Détournant avec difficulté les yeux du jeune garçon, elle demanda à Brom d'aller chercher une certaine Valka. Puis elle prit place dans un grand fauteuil de bois.

"-Asseyez vous les enfants."

Troublés et mal à l'aise, ils obéirent sans un mot.

"-Je me nomme Alliénor Drack, reine des dragonniers. Dis moi Leo, qui es tu ?"

A cette question, le cuisinier releva la tête d'un coup, se cognant contre le dossier de son fauteuil.

"-Je suis cuisiner à bord du Chronos votre altesse, répondit il en se massant l'arrière de la tête.

-Je le sais, sourit la femme. Je te demande qu'elles sont tes origines ? Qui sont tes parents ?

-Mes parents ? Je ne les ai jamais connus. J'ai été trouvé par mon ancien capitaine dans un orphelinat de la capitale, j'avais à peine huit ans. J'étais destiné à une maison de passe."

Un silence accueillit sa déclaration, et Hannah lui serra la main. Elle sentait la douleur que causait l'évocation de son passé à son ami.

A cet instant Brom revint accompagné d'une femme. La nouvelle venue s'agenouilla devant sa reine, attendant que celle ci lui ordonne de se relever.

"-Lève toi Valka. J'ai quelqu'un à te présenter."

La femme se leva, et posa son regard vers l'assemblée. A la vue de Leo, elle porta les mains à son visage, étouffant un cri de stupeur. Ne comprenant rien à la situation le jeune homme se contenta de détailler l'inconnue devant lui.

Elle s'appelait Valka. D'une quarantaine d'années, la femme avait des cheveux blonds platines et un visage doux. Ses yeux étaient de cette couleur si particulière et propre à son peuple. A ce moment là, ils étaient remplis de larmes. Des larmes de joie et de tristesse. Valka tendit la main vers le jeune garçon déboussolé.

"-Tant d'années... murmura-t-elle pour elle même. Tu... Tu es son portrait craché, n'est ce pas votre altesse ? Il lui ressemble tellement...
-C'est ce qui m'a mis sur la piste, sourit la reine.

-Leo, est ce que tu te souviens de moi ? De ton passé ?
-Je suis navré madame, j'ai l'impression de vous connaître mais je ne saurais dire pourquoi."

Valka secoua la tête, évidement qu'il ne pouvait se souvenir d'elle, il était si petit quand...

"-Je suis ta mère Leo, souffla-t-elle en le regardant derrière le voile de larmes."

Le jeune garçon écarquilla les yeux, sa tête lui tourna tant la surprise était grande. Sans s'en rendre compte, il broya la main d'Hannah qui encaissait elle aussi la nouvelle : Leo était un dragonnier. A bien y regarder il possédait les caractéristiques physiques de son peuple, mais alors pourquoi n'avait elle pas fait le lien ? Ni elle, ni les autres ne semblaient être au courant. Le savaient-Ils ? Non c'était impensable...

Abasourdi, le cuisiner garda le silence. Lui, un dragonnier ? Il ne pouvait y croire, pourtant, au fond de lui, une flamme s'était allumée. Il savait que cela était vrai. Et là, juste devant lui se tenait sa mère. Sa mère ? Il ne la reconnaissait pas. Pourquoi ?

Devant son mutisme, Valka serra les dents, et ses larmes menacèrent de déborder. Il ne la reconnaissait pas. Inquiète, elle l'appela :

"-Leo ? Je sais que c'est dur à croire, mais je suis ta mère. Il faut que tu me crois..."

Il releva les yeux vers elle, et répondit :

"-Je... Je sens que cela est vrai, mais je n'arrive pas à le croire... Je ne comprends pas, j'ai l'impression de lutter contre... une sorte de voile."

Le regard de la reine s'illumina d'un coup. Elle s'approcha du jeune garçon et lui demanda :

"-Aurais tu un bijoux dont tu ne te serais jamais débarrassé sans savoir pourquoi ? Ou une tâche sur ta peau qui te semble étrange ?
-Vous pensez à une amulette ? Demanda Hannah.
-Tout à fait jeune fille. Tu y avais pensé ?
-En fait je viens d'y penser, avoue-t-elle. Je me rends compte que son physique trahit ses origines, mais il m'est impossible de faire le lien entre lui et les dragonniers...
-Hum, fit la reine, c'est donc bien un sort..."

N'écoutant pas la conversation autour de lui, Leo regardait sa mère. Il cherchait au plus profond de lui son visage, si voix, son odeur ... n'importe quoi qui n'était pas le trou béant de sa mémoire.

Il entendait distinctement les rires des enfants de l'orphelinat, il sentait les odeurs d'épices, d'urines et de soies de la rue dans laquelle il jouait ... Il pouvait presque retrouver le goût de la bouillie de céréales qu'il avait mangé toute son enfance mais pas le moindre souvenir de son île natale...

Énervé, il voulut passer sa main sur son front mais suspendit son geste. A son poignet était attaché un lien de cuir. Un simple bracelet de cuir brun, usé et rapé avec le temps. Il ne comprenait même pas ce qu'il faisait là, c'était comme si il le découvrait pour la première fois... Aussi loin que remontait sa mémoire, Leo avait toujours porté ce bracelet.

Un espoir naquit : si ce bracelet était une amulette, il lui suffisait de l'enlever pour enfin franchir le fossé le séparant de son peuple. Il le prit entre ses doigts, et tira dessus d'un coup sec. Le lien céda, et une foule d'images, de bruits, d'odeurs et de sensations affluèrent. Elles étaient si nombreuses qu'il eu l'impression de se prendre une vague en pleine figure. 

Leo était là. Il voyait enfin son île. Il voyait les hautes falaises vertes qui contrastaient avec le gris acier de la mer. Il entendait le vent qui soufflait fort et  apportait les odeurs de cette dernière. Il était dans les bras de sa mère, la chaleur du feu, celle de sa peau, de son sein. La douceur de sa voix. La force de l'étreinte de son père et la robustesse de son rire.

Leo entendait tout. Sentait tout. Voyait tout comme si c'était la première fois. Il était un aveugle qui retrouvait la vue, un sourd qui entendait un rire, un enfant qui découvrait le monde.

Sans prévenir, il se jeta dans les bras de sa mère, ayant pour la première fois le droit à l'étreinte maternelle que la vie lui avait jusqu'à lors interdit. Surprise, Valka mit une seconde à saisir ce qui se passait, puis la vérité s'imposa : il se souvenait ! Aussitôt, elle le serra dans ses bras, elle le serra si fort qu'elle aurait pu le briser.

Hannah et Alliénor sortirent de la tente, laissant les dieux comme seuls spectateurs de ces retrouvailles. La dragonnière berçait son fils avec un instinct transmis depuis des millénaires, caressant ses cheveux blancs en répétant son nom sans fin. Quand à lui, Leo pleurait. Le trop plein d'émotions s'évacuait au fur et à mesure, vidant le jeune garçon de ses dernières forces. Il s'endormit dans les bras de sa mère tel un nouveau né.

L'étoile du Nord Où les histoires vivent. Découvrez maintenant