La fuite

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Cela s'était finalement révélé une fausse piste. Un guerrier de retour au pays m'avait rapporté des rumeurs sur une possible détention de Vespef en Cairn. J'avais décidé d'aller enquêter sur place.

Au fait, comme j'ignore quand et où ce texte va être lu, il faudrait d'abord que je situe le contexte. C'était il y a fort longtemps, bien avant que les humains n'apparaissent dans notre monde. Il n'y avait à l'époque que des bawcks, des gems et des stoltzt. Je suis une stoltzin, je m'appelle Saalyn et je suis une guerrière libre. La première a avoir été nommée à ce poste et en ce temps la seule. Quelques mois plus tôt, j'étais encore une guerrière normale. Puis l'Helaria, le royaume insulaire qui m'avait vu naître cinq siècles auparavant, avait fait l'objet d'une attaque de pirates. Nous étions trop faible pour leur résister et un quart de notre population avait été emmené en esclavage. Parmi elle, Vespef, notre pentarque prime, celle que nos voisins – qui ne comprenaient rien au système pentarchique – considéraient comme notre reine. Les autres pentarques ont donc créé la corporation des guerriers libre avec pour mission de ramener au pays tous les Helariaseny capturés ainsi que tous les esclaves que je pourrais libérer sur ma route.

Mon problème, c'est qu'au début, j'étais le seul membre de cette nouvelle corporation. Je devais faire appel à des collègues extérieurs pour m'aider dans ma mission. Et naturellement, au moment de choisir mon coéquipier, Muy, pentarque quarte d'Helaria, s'était portée volontaire. D'une part, la victime était sa sœur. D'autre part, elle n'avait pas digéré d'avoir été vaincue lors de l'attaque pirate. Naturellement, quand elle avait posé sa candidature, tous les autres volontaires s'étaient désistés. Qui oserait s'opposer à une des deux jumelles tueuses. Heureusement qu'il fallait organiser la défense de l'île en vue du prochain retour des pirates, sinon j'aurai eu les deux sur le dos.

En fin de compte, mes craintes étaient infondées. J'étais maître-guerrier, Muy était pentarque. Et pourtant, elle avait respecté la hiérarchie de cette mission et scrupuleusement obéit à mes ordres. Au début, j'avais hésité à la commander. Je sais, j'ai déjà travaillé avec Wotan. Ce n'était cependant pas la même chose. Contrairement à Muy, Wotan n'était pas le chef de l'armée, il n'était pas mon supérieur direct, même s'il était mon pentarque. Et cela jouait beaucoup. De plus, pendant mon enfance, il avait à l'occasion remplacé un père souvent absent à cause de son métier de guerrier. Je n'avais pas peur de lui, au contraire de sa jeune sœur. Après tout, si les jumelles avaient reçu un tel surnom, il y avait bien une raison.

Le temps qu'on arrive en Cairn, Muy s'était révélé une compagne de voyage accommodante et finalement sympathique. Elle n'était pas sœur de Wotan pour rien. Au combat, c'était une vraie furie. Dans la vie courante, elle était une camarade agréable. En fait, à côté d'elle, je me donnais l'impression d'être coincée. Et pourtant je n'ai jamais ménagé mes plaisirs. Mais sortant peu du pays, elle a profité à fond de cette mission pour rattraper son retard. Au cours du mois de voyage, elle n'a pas passé plus d'une nuit seule. Elle s'est même essayée aux plaisirs saphiques, choses qu'elle n'avait jamais faites en Helaria – enfin je crois – avant de conclure que cela ne lui convenait pas.

Finalement, la rumeur sur la présence de Vespef en Cairn s'était révélée infondée. Il n'y avait aucun esclave helarieal dans la région, ni autour d'ailleurs. Le pays avait une population servile suffisamment importante pour ne pas avoir besoin de s'en procurer à l'extérieur. Je n'essayais pas de libérer les gens que je rencontrais. Le passé m'avait prouvé que ce n'était pas une bonne idée. C'est un peu déçues que nous mîmes le cap sur l'Helaria pour le retour.

J'avais hâte de quitter ce pays de taré.

La campagne autour de nous était déserte. Nous étions sur un plateau calcaire, entrecoupé d'avens et totalement dépourvu de rivière. Son sommet était désert. C'était à son pied, à proximité des résurgences, que les fermiers s'étaient installés. Et ce qui nous intéressait, c'était la pente sud, située en Diacara. Nous chevauchions depuis moins d'une demi-journée à travers ce paysage aride. Le soleil, Fenkys, n'avait pas atteint son zénith. Muy enleva sa tunique et se mit torse nu pour profiter de sa chaleur bienfaisante. J'aurai bien voulu l'imiter. Mais la prudence me retenait. La nudité n'était pas un tabou en Helaria, elle l'était au Cairn. Heureusement nous étions seules, il n'y avait personne pour nous faire le moindre reproche.

Le Village (La guerrière libre - 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant