~ VIII. ~ Le ballet romantique

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~ SCÈNE VIII ~
LE BALLET ROMANTIQUE

***

~ Paris 1888 ~

My dear Jack,
On the day of our two years, I received all the letters that I sent you. I would like to know the reason why.

Scarlette.

***

~ Londres 1886 ~

     Le temps s'accéléra, puis rembobina les bandes cinématiques pour revenir là où les deux alchimistes s'étaient arrêtés, hagards de leur idylle psychique. Le film de leurs émois tournait sans cesse entre les murmures de la comédienne et les crispations d'excitation du jeune saltimbanque.

     À s'en arracher les ongles des mains sur les accoudoirs de sa chaise couleur ébène, le serpent, d'ordinaire impassible, convulsa sous les morsures hasardeuses de sa piètre souris ligaturée. Sa peau de python pela au fur et à mesure que la vermine se frotta, d'un coup sec, sur ses parties intimes, s'enroulant également autour de sa nuque à l'aide de sa langue fourchue. Vint s'ajouter à cette cérémonie d'éloges venimeux, des yeux hypnotiques l'accompagnant dans les méandres de sa transe, de sa dernière danse — tantôt affriolante, tantôt sardonique.

D'ores et déjà, elle avait inoculé son venin contre le lobe de son oreille. Chacun fut désormais sur un pied d'égalité téméraire. Enfin, pour quelques partiels instants...

— À la fin, il ne restera rien de plus qu'un simple : "échec et mat"..., lui susurra-t-elle, ses articulations fébriles se reliant en jointure de chaque côté du dossier, où la tête de son malléable amant s'enfonça de plus en plus.

— Tellement insoupçonné..., chuchota le prisonnier, ses pulsations cardiaques l'intimant à soutenir le regard foudroyant de son inquisitrice. Tu es folle à lier, Scarlette... Deux personnalités ancrées dans un même corps...

— Plaît-il ?

Exactement comme ses clients — ces hommes qui la payaient lorsqu'elle louangeait les ondulations de sa silhouette gracieuse, tel un fantôme ondoyant dans les coulisses de l'Opéra Garnier. Le body, le tutu, les chaussons roses et le chignon plaqué n'étaient guère faits pour elle ; elle devait se vêtir d'autre chose. Et cette autre parure ressemblait à un minutieux fragment de plumes, de froufrous, de coiffes rouges et noires, de débauches cachées sous des jupons innocemment volages. Des ornements qui l'étoffaient à merveille.

Quelquefois alléchés, ces mêmes clients s'humidifiaient un peu plus chaque soir, lorsqu'elle demeurait à l'aise avec eux.

Aujourd'hui, le tortionnaire flageolé par sa belle captive deviendrait l'un de ces noctambules habitués à la fraîcheur odorante de son accablante attraction. Il n'avait pas d'autres choix que de contenir ses réticences à l'égard de sa propre latence. Se mouvoir ne ferait point partie des entrechats que Scarlette exécuterait, une fois la chorégraphie parachevée. C'était inéluctable.

Irréversible.

— Cela suffit !, éructa l'homme tourmenté, légèrement forcené quant à la béatitude que la jeune femme lui légua, sans la moindre décence. Cesse donc cette frivolité, veux-tu !

Les petits meurtres de ScarletteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant