~ XII. ~ La cabriole de l'enfer

121 17 54
                                    


~ SCÈNE II ~
LA CABRIOLE DE L'ENFER

***

~ Paris 1887 ~

My dear Scarlette,
I swear on my life I will protect you ! No matter what will happen !

Jack.

***

~ Paris 1886 ~

     L'aéronef dans lequel Scarlette voyageait depuis trois jours accosta à l'extrémité d'une campagne isolée, un peu éloignée de la capitale française.

     Trop éloignée de l'Angleterre...

         — Si loin de vous, mon cher Jack... Cela fait si longtemps... une éternité, je dirais..., soupira la jeune femme, des lunettes aviateurs posées sur son nez, cachant ses immenses cernes creusés par la fatigue et la solitude.

     Le temps demeurait une chose suspendue dans les airs lorsqu'on ne saisissait plus l'instant présent, lorsqu'on laissait défiler la vie sans la retenir, l'avenir sans y parvenir. Le temps était une chose mystérieuse, mais qui pouvait s'avérer dangereuse. Ne semblait guère rare le fait de ne plus savoir battre des ailes une fois l'être figé, crispé dans l'ancien, tourmenté dans le nouveau. L'étiolement de l'innocence abrégeait les enfances insouciantes, et les rendait dépourvues de candeur, ô combien précieuse. Dès son plus jeune âge, Scarlette paraissait tellement naïve, tellement pure, que ses pensées se transformaient en une série d'horreurs fracassantes à chaque fois que son doux regard angélique s'accompagnait d'actes sanglants.

     Les purs deviennent impurs. Les impurs redeviennent purs, récita-t-elle en son for intérieur, tel un poème appris par cœur.

     Sa défunte mère, Sofia, avait pour habitude de lui conter cette citation avant qu'elle ne s'endorme dans les bras de Morphée. Petite, elle n'en comprenait guère le sens, ni l'étendu que ce message subliminal recelait. Maintenant, elle sut. Maintenant, elle le vécut. Maintenant, elle exista à travers cette phrase qui résonnait en cantique damné dans son esprit.

     Infernaux tourments !

         — Madame Hooper, nous venons d'atterrir, apostropha un homme vêtu d'une veste noire queue-de-pie et de gants blancs en cuir, la moustache bien peignée, partant en spirale au-dessus de ses pommettes rondes.

     Malgré l'irruption du gentilhomme, une intrigue la piqua au vif et l'attira un peu plus dans la torpeur d'un espoir sans lendemain.

     Hooper... Madame Hooper... Il m'a appelée par ce nom...

     Sa moue dubitative s'exprima à travers son visage camouflé par ses grosses lunettes et sa capeline. De ce fait, elle se retourna, apathique, vers son accompagnateur, lui esquissant un demi-sourire en coin — un sourire davantage cynique que complaisant.

         — Je vous suis, lui répondit-elle après un interlude inopiné.

     Avant de lui emboîter le pas, elle chercha à l'intérieur d'une de ses poches le fameux billet où étaient inscrits son prénom et son nom. Il était écrit noir sur blanc qu'elle se prénommait "Scarlette Hooper". Voici donc la raison pour laquelle on la prenait pour une autre... Sa fausse identité représentait son salut, sa lettre de grâce, afin de revenir sur son territoire "natal", si elle pouvait le qualifier de la sorte... Une terre se devait d'être son propre oxygène dès le départ. La France était apprivoisée comme étant sien.

Les petits meurtres de ScarletteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant