Chapitre 12 - Gabriel

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   Implicitement, en m'engageant à mener à bien ce road trip, j'avais déjà signé pour pas mal de trucs ; adieu liberté, bonjour surveillance d'une adulte qui a grandi trop vite. Et en quelque sorte, j'étais consentant, à renoncer à mes commodités, solitude, calme et silence, j'avais fait mon deuil, de toutes ces choses, et avait ainsi pu avancer sereinement en étant psychologiquement préparé.

Seulement, il y a des choses pour lesquelles je ne suis pas encore prêt, pour lesquelles je suis encore trop jeune.

Se faire caresser la main droite pendant que je conduis en fait partie.

Se sentir observé, épié même, amoureusement par un homme d'au moins quarante-cinq ans en fait partie.

SENTIR LE SOUFFLE MOITE ET AUSSI ODORANT QU'UN PORT DE PÊCHE ABANDONNÉ D'UN HOMME SE FROTTANT DOUCEMENT L'ESTOMAC DANS L'ESPOIR D'ACCOUCHER PROCHAINEMENT DE MA PRÉTENDUE PROGÉNITURE DANS SON COU EN FAIT LARGEMENT PARTIE !

- Alain, je commence calmement. Pour la dernière fois, TU N'ES PAS ENCEINTE DE MOI !

- Mais, mon Doudou, tu es le seul de toute la cellule avec qui j'ai eu une aventure passionnelle, et maintenant, notre enfant est dans mon ventre ! réplique Alain, des coeurs roses et rouges transpirant par tous les pores de sa peau tatouée.

- J'Y CROIS PAS, s'offusque ma meilleure amie. Il a bouffé ton gosse, et tu lui dis rien ???!!! TU FAIS UNE HISTOIRE PAS CROYABLE PARCE QUE ROSETTE A MANGÉ TON JEAN MAIS POUR UN GOSSE TU DIS RIEN ???!!!

Je soupire bruyamment, tout en plaquant ma main toujours menottée contre mon front, tentant d'oublier ce douloureux épisode de ma vie. Rosette ne relève pas, il est trop occupé à pianoter sur son minuscule ordinateur portable.

- Tu sais, ma chérie, j'ai vécu la même expérience, reprend subitement Elena.

- C'est vrai ? s'enquiert l'intéressé, tentant tant bien que mal de ramasser les coeurs de papier qui ont coulé sur le siège.

- Oui. Il s'appelait Hugues. Nous étions jeunes et fougueux, à l'époque, deux amoureux passionnés de jupettes à pois. C'est au Pakistan que tout a commencé.

- T'as jamais mis un seul pied au Pakistan, El, j'interviens.

- C'était en Suède alors ? réfléchit-elle.

Je secoue négativement la tête.

- Bon. C'était en Moselle alors. C'est donc en Espagne que tout a commencé entre Patrick et moi.

- Il s'appelait pas Hugues, à la base ? je lui fais remarquer, intrigué par cette histoire que je n'avais jamais entendu auparavant.

- VAS-TU CESSER DE M'INTERROMPRE ? Donc Patrick, oui. Il était grand et beau. Enfin plus beau que grand. Un jour de pluie, nous dansions dans la boue pour attirer les papillons bleus, quand d'un coup, il a sauté dans ma bouche. Comme ça, sans prévenir !

Alain est subjugué par le récit, la langue pendante. Cet homme. Est dégoûtant. Et dire que c'est ma femme...

- Et c'est comme ça que moi aussi, j'ai mangé une personne.

- Et tu vas me dire qu'il est rentré en entier ? je glousse, imaginant la scène se dérouler dans mon esprit.

- Bah tu sais, Patrick était très petit, pour une mouche, alors il a glissé tout seul.

Elle a gobé une mouche. Et après on se demande d'où viennent toutes ses hallucinations. Enfin, c'est trop tard pour y changer quoi que ce soit maintenant.

Le soleil commence doucement à faiblir, il faudrait penser à trouver un endroit pour passer la nuit. Parce que passer la nuit dans la voiture, avec Elena qui ronfle et bave sur tout le monde, c'est HORS - DE - QUESTION.

- Prend à droite, m'indique Rosette, sans lever les yeux de son ordinateur.

- On est sur l'autoroute, Porcinet, il y a pas de sorties avant au moins cinquante kilomètres, je rétorque froidement, toujours agacé par l'incident de pantalon.

- Prend à droite, je te dis.

- Prend à droite, il te dit, renchérit ma femme.

- Ok.

Alors je braque le volant à droite, défonce au passage la petite barrière métallique, et nous enfonce dans un champ à toute vitesse.

La voiture cahote douloureusement, et Rocky et Gabriella vole dans l'habitacle de la voiture. Alors je m'arrête brusquement, avec un très grande envie de casser la figure à quelqu'un.

- Dis donc, El, passe moi ton téléphone.

Elle s'exécute sans poser de questions, trop occupée à récupérer tous les petits trucs qui étaient tombés de son soutien-gorge pendant la traversée. Je le déverrouille, et appelle son pote George sans plus tarder. Il décroche presque immédiatement.

- J'ai une limace banane dans mon slip, dit-il d'une voix langoureuse.

- Ouais c'est cool. Tu peux encore dormir la nuit, après ce que t'as fait ?

- Oui je sais, que je suis cool, mon pote. Et je peux dormir oui, parce qu'être cool, c'est fatiguant, alors le soir, dans mon lit, je retire mon costume super cool, et je fais dodo, parce que je suis super cool moi aussi.

- Ok, c'est sympa, ta vie. Écoute, moi, espèce de petit pignon de pin grillé, tu vas immédiatement prendre le premier bus pour la ville que tu veux, danser nu sur la place, et après revenir dans cette fichue voiture avec nous, tu m'as bien compris ??

- Pas de souci mon brave, j'y cours, j'y vole. Embrasse mon canard en réglisse pour moi! Dis-lui que mes tétons n'attendent qu'elle pour se vider de leur la...

Je raccroche immédiatement, dégoûté par cette dernière information.

- Elena, j'ai une bonne nouvelle, ton mec va faire un show nudiste sur la place d'une ville totalement aléatoire et nous rejoindra juste après.

- POUET POUET, hurle-t-elle, de joie j'imagine.

- Par contre, Rosette, tu dégages.

- Bon, il est temps pour moi d'aller explorer de nouveaux pays, les enfants, le président du Boutan m'attend pour prendre le déjeuner de toute manière, dit-il, en s'éloignant entre les épis de maïs.

- On passe la nuit ici, je décide alors, fatigué par toutes ces histoires.


Very Bad (Road) TripOù les histoires vivent. Découvrez maintenant