Kaylee et Avah étaient levées tôt ce matin. Ce n'était pas dans leurs habitudes, surtout Kaylee qui s'endormait très tard et ratait la plupart du temps le petit déjeuner. Mais aujourd'hui était un jour particulier : l'un des enfants du Village était devenu adulte et il avait du coup droit à une maison.
Bien que banal pour les villageois plus anciens, cette arrivée était vécue comme un événement pour les enfants et même les ados qui n'en avaient vu que très peu durant leurs courtes vies.
Arrivées sur place les sœurs furent un peu déçues. La maison était identique à toutes les autres, et même l'intérieur n'avait rien d'extraordinaire. On y trouvait le même agencement des pièces, les mêmes équipements. Seule l'odeur changeait. Ou plutôt l'absence d'odeur, parce que personne n'y avait jamais habité et tout était propre, immaculé.
- Comment elle est arrivée là la maison ? demanda Avah à sa sœur sur le chemin du retour.
- Comme toutes les autres : pendant la nuit toutes les lumières du Village s'éteignent et, quelques heures plus tard, lorsque le soleil se lève, il y a une maison en plus.
- Mais elle se construit toute seule ?
- Bien sûr que non, t'es bête ou quoi ? Ce sont les Bienfaiteurs qui l'ont construite.
- Ils ressemblent à quoi les Bienfaiteurs ?
- Personne ne le sait, on ne les voit jamais. C'est grâce à leur magie que nous avons des maisons, que les lumières s'allument quand on rentre dans une pièce, et que nos usines produisent ce dont nous avons besoin.
- Quand est-ce qu'on mange ?
Les changements de sujet de sa sœur étaient toujours un peu déroutants pour Kaylee. Elle qui lisait beaucoup adorait quand un auteur passait d'un sujet à un autre avec habileté, en opérant avec subtilité une douce transition.
- J'ai du mal à croire que j'ai pu être comme ça à l'époque, se dit Kaylee qui était bien contente d'avoir passé cet âge bête.
- Arrête de penser que je suis bête ! s'énerva Avah.
- Eh ! On n'a pas le droit d'écouter les pensées sans autorisation !
- T'avais qu'à les cacher mieux que ça, je vais le dire à maman !
Kaylee ne put qu'en convenir : elle avait relâché sa concentration, désarçonnée qu'elle avait été par le soudain changement de sujet de sa sœur, mais aussi à cause des questions qu'elle se posait elle-même sur les Bienfaiteurs. Personne ne pouvait ou ne voulait y répondre : qui sont-ils, pourquoi partagent-ils leur magie avec nous, où vivent-ils... Aucun adulte ne semblait avoir la réponse, ce qui semblait louche à l'adolescente. Lorsqu'elle était enfant elle avait toujours pensé que les adultes savaient tout, qu'aucun problème ne leur résistait, ils savaient tout faire et avaient réponse à tout.
Puis en grandissant elle avait appris l'existence des Bienfaiteurs, et ce fut un choc pour elle d'apprendre que ce n'étaient pas les parents qui guérissaient leurs enfants, mais la magie des Bienfaiteurs. Que c'étaient eux qui fournissaient tout ce dont le Village avait besoin, et que les villageois ne faisaient qu'utiliser ce qui leur était offert.
Bien sûr la plupart des outils utilisés étaient construits par le forgeron ou d'autres artisans, comme les marteaux, enclumes, haches et autres couverts. Tout ce qui ne fonctionnait pas grâce à la magie en fait.
Mais pour le reste ils dépendaient tous des Bienfaiteurs. Et personne ne s'en plaignait, car ils étaient bons et jamais une de leurs actions n'avait provoqué autre chose que de la joie, de la reconnaissance ou simplement du réconfort.
Arrivées en vue de la maison les pensées de Kaylee revinrent vers les remontrances qu'elle s'apprêtait à recevoir de sa mère. Elle avait laissé ses pensées vagabonder, sans protection, et sa sœur avait su les capter. Elle était pourtant habituée à bloquer cela, comme n'importe qui au monde. mais elle était souvent la tête dans les nuages, et parfois elle allait tellement loin qu'elle faisait tomber toutes ses protections. Et pour ne rien arranger sa sœur écoutait pile à ce moment-là...
- Ta sœur m'a raconté ce qu'il s'est passé Kaylee.
Emyly n'avait pas l'air trop énervée, mais ses filles savaient que cela ne voulait rien dire.
- Tu sais que tu dois toujours être maîtresse de tes pensées. Ta sœur a pu les capter parce que tu n'as pas su les gérer. Elle est en tort aussi bien sûr, elle n'avait pas à écouter. N'est-ce pas Avah ? Combien de fois je t'ai répétée de pas être aussi impolie ?
- Mais maman j'ai pas fait exprès, elles étaient si fortes que je n'ai pas pu résister !
- Le prochaine fois abstiens-toi. Vous savez toutes les deux que votre lien est fort parce que vous êtes sœurs. Mais certaines personnes peuvent deviner des bribes de pensées de gens qui ne sont pas de la même famille, et c'est surtout à eux qu'il ne faut pas dévoiler ce que vous avez en tête.
- Mais maman qui voudrait entendre ce qu'on se dit dans notre tête ? Avah était perplexe à cette idée.
- Tu es encore une enfant, alors bien sûr que personne n'aurait l'idée d'aller écouter ce que tu as dans la tête. Si je vous dis ça c'est pour qu'une fois adulte vous puissiez garder vos pensées pour vous-même. Peut-être qu'un jour vous aurez un poste important et que vous saurez des choses qu'il faudra garder secrètes. Souvenez-vous aussi que même les plus puissants télépathes ne peuvent pas vraiment lire vos pensées, ils ne font que ressentir certaines émotions, certaines idées générales. Mais ils peuvent le faire sur n'importe qui, même hors de leur famille.
- Mais c'est dégoûtant d'aller dans la tête de quelqu'un qu'on ne connaît pas ! s'indigna Avah.
- Je sais ma puce mais ça se fait dans certains cas, quand la situation l'exige.
Kaylee et Avah avaient déjà entendu ce sermon plusieurs fois bien sûr, mais toutes ces préoccupations d'adultes étaient bien trop abstraites pour elles pour qu'elles y prêtent plus attention.
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Exil
Science FictionDans un monde parallèle où la télépathie est courante, les mythiques Bienfaiteurs veillent sur les Villageois. Ils leur procurent habitats, soins et veillent à leur bien être. Kaylee et Avah sont deux sœurs. Lorsque les Bienfaiteurs disparaissent, e...