Il était une fois - puisque beaucoup d'histoire commencent de cette façon- une jeune femme enceinte qui arrivait au terme de sa grossesse. C'était la fille du boulanger du village qui, victime de sa beauté, de son innocence et de sa naïveté, s'était laissé séduire par un fier chevalier à la chevelure de feu qui revenait d'une mission pour son seigneur. Un homme charmant et bien fait de sa personne qui dû vite partir retrouver son maître quelques temps après leur rencontre, mais qui prit tout le soin de montrer son amour à la dame de ses pensées avant de la quitter.
Une nuit d'hiver, la jeune femme sentait que l'enfant commençait à bouger plus que d'habitude. Le moment venait. Elle sortit de chez elle et, saisie par le froid violent, se dirigea vers une vieille ferme abandonnée et à moitié brûlée à l'écart du village. Elle entra dans une vielle grange poussiéreuse et s'arrangea pour bloquer la porte afin que personne ne la surprenne.
La modeste paysanne ne pouvait pas garder l'enfant à naître. Elle ne le voulait pas et considérait déjà comme un fardeau cet être qui n'aillait pas tarder à venir au monde. Elle avait depuis longtemps décidé d'accoucher dans cette vieille grange pour rester à l'abri des yeux et des oreilles de toute personne qui pourrait prétendre avoir vu l'enfant. Dans la pénombre, elle ne verra même pas le visage du nouveau né. Sans attachement, et sans témoin, il lui sera plus facile de abandonner le mioche après l'accouchement.
Les villageois croiront sa version des faits, lorsqu'ils demanderont où est passé le bébé. Qui pourra la blâmer d'avoir abandonné un enfant mort né ? C'était monnaie courante, et le bâtard l'aurait condamnée à finir vieille fille. Aussi belle soit elle, aucun homme ne se serait risqué à épouser une femme accompagné d'un enfant d'étranger ; et aussi amoureux soit-il, le chevalier ne se serait pas risqué à se mettre l'Église à dos pour une histoire d'enfant hors-mariage.
Elle espérait que ce bébé mourrait vite de froid, qu'elle n'ait pas à le tuer elle-même.
Elle espérait qu'il ne verrait pas la lumière du matin.
Elle espérait qu'il ne pousserait pas son premier cri.
Elle espérait que ce qui sortirait de son ventre serait déjà mort.
Les contractions la coupèrent dans ses pensées morbides. Elle s'allongea dans la paille et le travail commença. Le temps semblait vouloir la punir d'avoir osé souhaiter la mort du fruit de sa naïveté, et ralentit sa course pour la faire souffrir le plus longtemps possible.
Après un temps qui lui parut durer plusieurs heures, elle entendit enfin un cri qui ne lui appartenait pas. Le bébé vivait. En sueur malgré le froid ambiant, elle se redressa et, totalement aveuglée et fatiguée par la nuit et la douleur, réussit à attraper l'enfant qui gisait dans la paille en continuant à hurler de toute la force de ses petits poumons. Elle coupa le cordon ombilical et, mue par une sorte d'instinct qui surplombait toute logique, installa la petite chose confortablement dans ses bras, bien au chaud sous sa cape. Le bébé se tût presque immédiatement, emmitouflé dans la douce étreinte d'une mère qu'il reconnu immédiatement.
En attendant de recouvrer assez de force pour se débarrasser de son enfant, la jeune femme caressa la tête de son bébé endormi, sans même y penser ; un geste commandé par l'ennui et le souci de faire passer le temps plus vite, selon elle. Par curiosité, elle glissa sa main vers l'entrejambe du gamin. Ou plutôt, de la gamine. C'était une fille.
La mère soupira.
"Elle serait devenue jolie en grandissant. Une belle jeune fille. Avec les cheveux rouges de son père, elle en aurait fait tourné des têtes !"
Quelques minutes de rêverie plus tard, elle se surprit à vouloir garder sa fille. Furieuse de l'emprise que cette espèce de petite succube avait sur son coeur, elle secoua la tête, chassa les idées mielleuses qui émergeait dans son esprit et se leva, déterminée à mettre au plus vite son plan à exécution.
Elle sortit de la grange et, la fillette toujours endormie dans ses bras, elle se dirigea vers la forêt. À défaut de la lumière de la lune, c'est la lumière de la lâcheté qui la guida vers une petite clairière.
La mère regarda son enfant. La petite fille dormait toujours.
Son plan initial était d'abandonner le gamin nu au beau milieu de la forêt -voire de le laisser dans la grange, selon son état de fatigue.
Mais pas ce bébé. Pas cette petite.
La culpabilité poussait la mère à lui laisser une chance, aussi infime soit-elle. Elle s'assit sur le sol, réveilla doucement la fillette et lui présenta le sein.
Après avoir nourri pour la première et dernière fois sa fille, la mère l'enveloppa dans sa cape et la déposa délicatement sur le sol de la clairière, la laissant à son sort.
La jeune femme retourna au village, le coeur lourd.
La petite fille commença à crier. Elle voulait attirer sa mère qui, en s'éloignant, songea -non sans peur- que son enfant allait attirer des bêtes sauvages. Elle en avait les larmes aux yeux, mais sa raison les chassa. Elle ne pouvait la garder. Elle ne pourrait jamais la protéger de quoique ce soit. Et des loups la débarrasseraient bientôt d'un destin misérable, guidés par de tels pleurs.
Mais ce ne fût pas un loup ordinaire qui fût attiré par les cris du bébé.
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La Belle et la Bête
Mystery / ThrillerEn un soir d'hiver, quelqu'un frappa à la porte de l'orphelinat. Tout le monde se tût ; les jeunes filles étaient en rang. Certaines s'impatientaient, d'autres redoutaient l'instant fatidique. L'une d'entre elles seraient choisie par le jeune fils d...