Salut, Toi

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Salut, Toi.

Alors, mettons tout de suite les choses au clair.

Toi, ça ne représente pas chacun d'entre vous, seulement une personne.

Toi, ça ne représente pas une amie, la famille ou qui que ce soit d'autre.

Toi, c'est juste ma façon à moi de dire Lui.

Et Lui, c'est juste la personne que je hais le plus au monde.

Maintenant que les présentations sont faites, passons à la suite.

J'écris pour mettre des mots sur ce que personne ne devrait jamais savoir, tout en espérant que quelqu'un tombe dessus et le lise.

À présent, je reprend du début.

Salut, Toi.

Par quoi commencer ? Par le plus simple. Moi, c'est Emma, tu sais, cette fille avec qui tu as partagé un voyage dans un autre pays, celle que tu connais depuis que tu t'es incrusté dans la classe en CE2.

Est ce que tu te souviens seulement de moi ? Je ne pense pas. J'espère que si, que tu te rappelles au moins qu'il fut un temps où nous étions inséparables, Toi, Eugénie et moi. Que nous sommes allés une semaine en Angleterre, alors que nous n'avions que 9, 10 et 11 ans. Accompagnés, bien sûr. Est ce que tu te reconnais ? Est ce que tu te souviens ? J'espère. Et ça fait mal. Mais j'ai l'habitude.

Donc, si on part du principe que ça t'est revenu, que sais tu de moi aujourd'hui ?

Ce que tu sais de moi :

  1)  tu me connais depuis le CE2
  2)  j'ai sauté une classe
  3)  je suis l'intello
  4)  je suis discrète
  5)  Camille est mon amie
  6)  j'ai deux petites soeurs
  7)  je suis appliquée
  8)  j'habite dans le même village
       que toi
  9)  j'aime lire.

Tout est faux. Ou presque.

Ensuite, je vais te faire un récapitulatif à partir de ce que tu penses de moi :

  1)  rien à redire
  2)  rien à redire
  3)  tout le monde dit que je suis
       la plus intelligente, mais c'est
       faux. Je ne suis pas à la hauteur et
       je ne le serai jamais
  4)  je ne suis pas discrète, je suis
       renfermée. Nuance.
  5)  si une seule personne était mon
       amie, je pourrais tout lui dire.
       Tout. Mais je suis toute seule,
       puisque personne ne sais ce que je
       ressens
  6)  rien à redire. Mais attention, ce
        sont mes soeurs de sang, pas de
        coeur.
  7)  je suis maniaque. Pas appliquée.
       Maniaque.
  8)  rien à redire
  9)  oui, j'aime lire. J'adore ça, même.
        Parce que c'est le seul moyen de
        m'échapper de ce putain de
       merde de truc qui me sert de vie.

Voilà. Je ne vais pas tout de suite entrer dans les détails du pourquoi et du comment, tu comprendras plus tard, au fur et à mesure. Si tu tiens jusque là.

Ensuite, je n'en sais pas beaucoup plus sur toi. À part que tu es mon objectif final, ou pas, en fait, je ne sais plus. J'ai oublié.

Donc, voilà tout ce que j'ai écrit, tout ce que j'ai caché. Si tu savais...

Si tu savais comme mes larmes ont coulé pour chacun de ces mots. Maintenant, je n'en ai plus.

Si tu savais comme je voudrais que tu me remarques, que tu poses tes yeux sur moi juste un instant.

Si tu savais comme j'ai espéré que tu m'aimes, chaque jour. Mais l'espoir n'aide pas à survivre, il tue.

Si tu savais comme je voulais que tu sortes de ma tête, comme je rêvais que tu disparaisse. Mais j'avais peur, aussi. Peur que si je te quittais des yeux, si je ne te voyais plus, tu disparaisse. Vraiment. Comme si tu n'avais jamais existé.

Si tu savais tous les moyens que j'ai mis en oeuvre pour arrêter de te voir, de t'entendre chaque fois que je fermais les yeux.

Si tu savais comme mon sommeil était doux amer, car il était parsemé de tes rires.

Si tu savais comme je souffrais de te voir avec elles.
Elles, qui te plaisaient tant.
Elles que tu collectionnais.
Elles qui trouvaient toujours les mots pour te faire rire. Elles.
Elles qui avaient la chance d'être à ton côté, et qui l'ont toujours. Elles.
Et pourtant, je n'ai jamais compris ce qu'elles avaient de plus que moi. Elles étaient populaires, ça, il n'y a aucun doute là dessus. Pas moi. Elles étaient belles, et le monde est hypocrite de prétendre que moi aussi. Elles étaient sympas. Pas moi. Elles riaient, elles osaient te suivre. Pas moi. Pas moi. Pas moi.

J'ai toujours été là dernière du groupe. La nulle que personne n'aime mais qu'on est bien obligé de supporter. Celle qui traîne derrière.

En fait, si, je crois que j'ai compris pourquoi tu les as choisies et pas moi. Seulement, je n'ai pas réussi à l'accepter. Je suis folle. Et, même si c'est devenu un classique, je te le répète : je suis folle de toi.
Pour beaucoup, ça signifie juste amoureux. Pour beaucoup, c'est passager. Pour beaucoup, c'est une formalité. Pas pour moi.

C'est un peu plus complexe. Quand je dis je suis folle, je veux dire que je ne suis pas seule dans ma tête. Il y a ces démons, comme les autres les appellent à tort. Moi, je les nomme Amies.

Tu as sans doute déjà entendu parler d'Ana, de Cat, d'Annie, d'Izzy, de Deb, de Perry, de Sue et de Sophie.

Plus communément appelées Anorexie, Mutilation, Anxiété, Insomnie, Dépression, Paranoïa, Suicide et Schizophrénie.

Elles m'ont aidé à survivre. Pendant des années. Une éternité. Quatre ans, ou cinq. Ou plus, ou moins. J'ai perdu le compte. Depuis longtemps.

Je t'aime trop

Tu sais, se mutiler c'est pas un choix, c'est un besoin. Un peu comme écrire pour moi. Seulement, la lame remplace le stylo, la peau la feuille et le sang l'encre. À la différence près que seule la personne qui écrit peut lire ses mots. Les autres ne savent pas.

Je suis perdue. Perdue. Complètement, entièrement et définitivement perdue. Pommée. Et personne peut me sauver.

Comment je le sais ? Facile. Au moindre pas que je fais, j'ai le sentiment que c'est pas là que je devrais être.
Au collège, et pourtant Dieu m'est témoin que j'adore l'école.
À la maison, où personne ne comprend, personne ne sait.
Dehors, même si j'aime beaucoup la nature.
Quand je cours non plus, je ne suis pas bien. Mais ça m'aide quand même.
À la limite, dans ma chambre... C'est là que j'ai mes affaires. Mes lames. Je ne me sens jamais en sécurité. Sauf quand elles, elles le sont. C'est tout.

Il y bien un endroit où, peut être, je serais à l'abri. À l'abri du regard des autres, de leur jugement. Ou plutôt... du mien. Après tout, c'est de ma faute si j'en suis là. Je crois. Je ne suis plus sûre de rien. Je ne sais pas... d'où je viens, où je vais, ni qui ils sont, tous, ni qui tu es, Toi. Ni moi. Je suis perdue.
Alors peut être que, si j'avais le droit, je pourrais entrer dans un endroit qui serait rien qu'à moi, un petit cocon pour être seule. Ensuite... je suis pas sûre de guérir. Je peux pas te le promettre. Pourtant, j'aimerais tellement... Mais je suis pas certaine. Parce que tu vois cette belle assurance sur mon visage ? C'est juste un putain d'autre masque. Encore un. Mais je suis jamais allée dans cet endroit. Même pas quand nous étions amis. Si on l'a vraiment été. Les amis, ça vous abandonne pas pour devenir populaire. Ça reste à vos côtés. Mais tu n'as pas su le faire.

Je vais bien quand je vais mal.

Détruis moi. Encore. Jusqu'à ce que je meure de souffrance. Et ne regrette rien. C'est moi qui te l'aurais demandé.

Donc voilà, ça arrivera quelques fois que j'écrive pour me défouler, juste pour parler à quelqu'un dont j'ai du mal à croiser le regard... au fait. Il s'appelle Yoann. Juste pour info.

Si tu m'aimaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant