Prologue

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Bien sûr, elle me hantait depuis un moment. Normal, puisque ce n'est pas le genre de chose qui te vient d'un coup, comme ça, lorsque tu regardes la télé en famille, ou que tu bloques sur une question à l'éval de maths ou de français.

Non. En fait, elle entre plutôt dans la catégorie de celles qui arrivent discrètement, sur la pointe des pieds. Et puis un jour, elle a pris une place dans un coin de ma tête. Un petit coin. Si petit que je ne la voyais pas. Ou plutôt, que je faisais exprès de ne pas la voir. De l'ignorer, dans l'espoir futile que, si je ne lui prêtais pas trop d'attention, elle repartirait comme elle était venue, discrètement, sur la pointe des pieds. C'est ce qu'elle fait chez certains. Elle arrive, elle s'attarde, elle repart. Point final. Alors j'ai fait comme tout le monde. J'ai espéré.

Elle est restée longtemps, bien plus que prévu. Je ne comprenais pas pourquoi. Je ne lui avais pas demandé de venir ! Pourtant, elle était là, tranquille, calme, posée. Comme si elle était chez elle. Comme si elle habitait là depuis toujours. Elle prenait de plus en plus de place, et faire comme si elle n'existait pas devenait difficile. C'est vrai qu'au début, elle s'était cachée dans un coin, roulée en boule, comme timide.

Maintenant, presque quatre ans après, elle se promenait dans ma tête, aller, retour. Aller, retour. Aller, retour. À m'en donner la migraine. Il ne se passait pas un instant sans qu'elle surgisse devant mes yeux, au moindre prétexte.

Elle me hantait, je vous l'ai dit, elle me hantait.

Mais, même si elle était insupportable, au fond, je l'aimais bien. Oui, c'est incroyable. Quatre ans qu'elle ne me laissait pas une minute de répit, et moi, je l'appréciais. Je l'appréciais.

Oui, évidemment, on se disputait. Tout le temps, même. Mais avec elle, c'était amusant. Nous n'étions jamais vraiment fâchée l'une contre, on riait de nos piques, de nos moqueries, de nos insultes, même, parfois. On s'entendait à merveille. C'était génial. Elle était mon amie, ma meilleure amie.

Peu à peu, je m'isolais du monde extérieur, lentement, mais sûrement. Parce que là bas, c'était compliqué. Là bas, on jugeait tout le monde. Là bas, on se moquait, on poussait les gens dans leurs derniers retranchements. On les obligeait à subir. À sourire. Personne ne devrait être jugé, puis obligé de sourire pour masquer la douleur.

Oh, bien sûr, là bas aussi, on riait, mais pas avec les gens. Non. Là bas, on riait d'eux. Sur leur dos.

J'étais bien mieux avec mon amie.

Elle me consolait, me rassurait. Lorsque je pleurais, elle essuyait mes larmes. Elle me donnait toujours les armes qu'il fallait pour résister, chaque jour.

Petit à petit, elle prit en main cette amitié. On aurait cru que c'était moi qui était chez elle. Elle décidait tout : ce que je mettais, le matin, pour aller en cours, à quelle heure je me couchait, à quelle heure je me levais. Elle était adorable. Toujours aux petits soins pour moi.

Je la laissais mener la danse. Ça me faisait du bien, de savoir que je n'avais plus à me soucier de rien, dans le monde réel, dans ma tête, c'était pareil. Doucement, elle me forgea une personne, un caractère, une vie.

Tout me semblait parfait, alors. J'étais la première de la classe. Grâce à elle, j'étais devenue la meilleure.

Oh, bien sûr, il y avait des inconvénients à occuper ce poste. Il fallait supporter les moqueries, les regards jaloux, la solitude. Car, il faut bien se l'avouer, les premiers en tout sont rarement populaires. Donc non, je n'avais pas d'amis. Mais elle, elle était là. Toujours prête à m'aider et à me soutenir. Et puis, de toute façon, elle m'avait prévenue. Les autres, s'ils avaient une occasion d'être chiants, ils la saisissaient. Elle me l'avait dit. Heureusement qu'elle était là.

Et puis un jour, je me souviens, j'avais un peu plus de douze ans, elle a ramené une copine à elle à la maison. Je l'ai tout de suite a-do-rée.

Elle savait qui j'étais, ce qu'il se passait. Elle aussi, elle allait m'aider. Elle me l'a promis.

Bientôt, je partage mon temps entre mes deux amies. La première m'aidait à supporter le regard des autres, la seconde, à changer pour qu'ils m'acceptent.

Peu après, ma vie se transforma. Je réduis ma dose de nourriture, augmentais mes capacités en sport. Je sortais courir tout les matins pendant une heure. Puis je rentrais, me changeais, me douchais, attrapais une pomme et repartais, direction le collège. Direction l'enfer. À midi, je laissais mon repas de côté pour ne prendre qu'un petit bol de salade. Et le soir, en rentrant, je laissais mon goûter à sa place, dégoûtée à l'idée de toucher une seule calorie de plus. Puis je ressortais courir, me douchais, faisais mes devoirs et suivais mes parents à table en faisant semblant de manger. Puis je montais dans ma chambre, m'y enfermais et respirais un grand coup. Je mettais mes écouteurs, écoutais ma playlist préférée et m'asseyais par terre et écoutais deux ou trois morceaux avant de me relever et de me diriger vers l'armoire. Sous d'épaisses couches de vêtements se cachait mon couteau. Puis, peu importe la saison, j'ouvrais grand la fenêtre et m'entaillais la peau, une fois, deux fois, trois fois... Jusqu'à ce que le sang coule. Alors je souriais, douloureusement, le seul vrai sourire que je pouvais faire. Encore une nuit de deux heures de sommeil qui se profilait... et encore, si j'avais de la chance.

Puis j'allais reposer délicatement la lame tout au fond de l'armoire, dissimulée sous cette immense pile de jeans mal pliés.

Le placard toujours ouvert, je m'imaginais quelques instants leur expression. S'ils savaient ! Déçus, tristes, en colère, les visages se succédaient.

Mais qu'importe ! Ils n'avaient aucun moyen de savoir, alors pas de raison de s'inquiéter. Avec un peu de chance, ils ne sauraient jamais.

Avec un petit soupir, je refermais la porte et fis face au miroir. À la lumière de la lune, je m'observais sous toutes les coutures. Mon ventre était encore trop gros, comme mes jambes. J'avais des cuisses énormes, sans parler des mollets. Mais ça pouvait se rattraper.

Soudain, une main bronzée désigna mes bras. Je relevais brusquement la tête. Elles étaient là ! Enfin.

La main se fit plus insistante. Je baissais les yeux. Oui, en effet, mes bras aussi étaient trop gros. Il fallait que je mincisse. Encore.

Alors je relevais lentement les yeux vers les filles. Elles se reflétaient dans le miroir, mais je savais que si je me retournais, je ne les verrais pas. Alors je les observe dans la glace.

Elles souriaient.

Je souris à mon tour, heureuse de les avoir avec moi, prêtes à tout pour m'aider. Même si elles étaient l'exacte opposée l'une de l'autre, elles étaient là toutes les deux à me soutenir.

Mes amies.

Ana et Cat. Cat et Ana.


Partie légèrement romancée, parlant du tout début de mes problèmes il y a presque cinq ans.

Je ne pense pas que mes textes soient géniaux, arrêtez vous de lire, c'est médiocre.
C'était juste un conseil.

Si tu m'aimaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant