Chapitre 34

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J'ai passé le week-end avec Manon : je ne pouvais pas rester seule à l'appartement, en attendant simplement le retour de Thalya. Elle devait revenir dimanche, vers midi. Pendant ce temps-là, j'ai accompagné Manon jusqu'à la gare. Sur le quai, nous nous sommes enlacées et elle m'a souhaité d'avoir assez de courage pour confronter celle que je considère encore comme ma petite amie. Mais pour combien de temps ? Je ne suis pas si naïve. Je sais ce qui m'attend, lorsque je rentrerai à l'appartement.

Je ne remercierai jamais assez Manon. Elle a tout fait pendant ces trois jours pour me changer les idées. Elle m'a consolée, m'a fait rire et m'a écoutée. Nous avons fait cinq fois le tour de la ville, que je lui ai fait visiter. Ce week-end était un grand soulagement, qui dissimulait à peine l'angoisse du retour de Thalya. Je n'ai pas su exprimer toute ma gratitude envers ma meilleure amie. Et quand j'ai voulu lui expliquer à quel point ce qu'elle avait fait était important, elle m'a simplement répondu :

- Prends soin de toi. C'est tout ce que je demande.

C'est avec ses mots en tête, que je rentre à l'appartement, armée d'un courage qui n'est pas le mien.

Mon coeur frappe dans ma poitrine. Mes mains tremblent. L'angoisse me tord le ventre. Mais je dois faire face. S'engager dans une relation, c'est également s'engager à y mettre fin.

J'abaisse la poignée de la porte d'entrée, et pénètre discrètement dans le couloir. Des voix proviennent du balcon : je tends l'oreille, calme ma respiration, et me penche, pour apercevoir Thalya et Alycia, côte à côte.

Je n'ai pas revu Alycia depuis plusieurs semaines. Depuis que ma relation avec Thalya a commencé à se dégrader, en réalité. Leur discussion est si vive qu'elles ne m'aperçoivent pas, tandis que je m'avance dans le salon.

La fumée qui s'échappe de leurs mains attire mon attention. Mon cœur se serre lorsque j'aperçois ce que Thalya tient entre ses doigts. Mais ce n'est rien comparé à ce que j'entends.

- Je ne peux pas, Alycia. J'ai essayé, mais je ne peux pas. Ça paraissait trop beau pour durer, de toutes façons. Il manque toujours un truc, un je-ne-sais-quoi, qui m'empêche de continuer...

- Tu t'entends parfois ? Comme tu le dis, ce ne sont que des sentiments. Tu peux passer au-dessus ! C'est l'occasion de tourner la page. Cela fait trop longtemps que tu stagnes. Il suffit juste que tu te concentres sur la relation que tu as construite avec Adélie. C'est elle que tu aimes maintenant ! Es-tu la seule qui ne s'en rend pas compte ?

- Mais ce n'est pas la seule, bon sang ! Tout serait si simple si je n'aimais qu'elle, mais tu sais comme moi que ce n'est pas le cas. On a beau être ensemble, je sens qu'il manque quelque chose. Ou plutôt, quelqu'un. Je me mens à moi-même en essayant d'aller de l'avant. Je sais : ça fait des années, et pourtant, lorsque je te vois... Mes sentiments n'ont jamais changé, Alycia.

Cette dernière s'apprête à répliquer, mais s'immobilise dans son mouvement. Elle se tourne vers moi, et une lueur d'effroi traverse son regard. Thalya se retourne, puis se fige à son tour.

Je me tiens au milieu du salon, entre le canapé et la télévision. Une cascade de larmes mouille mes vêtements. Certaines s'écrasent sur le parquet. Je serre les poings, si fort que mes bras en tremblent. J'articule lentement, avec la plus grande difficulté :

- Tout s'explique maintenant.

Je m'effondre. Je crois m'effondrer. Thalya lâche sa cigarette et s'engouffre dans le salon pour me retenir, mais je me suis déjà enfuie dans ma chambre. Je me laisse tomber sur le sol, et m'appuie contre la porte pour la maintenir fermée. Thalya frappe contre le bois pour rentrer. Ses supplications et ses excuses ne sont plus que des murmures, rapidement emportés par le brouhaha de mon esprit.

Fatalement, je ne serai jamais celle qu'elle désire, alors que j'ai tout fait pour l'être.

Mes sanglots redoublent. Mes cris de douleur sont étouffés par mes pleurs. J'aplatis mes mains contre ma poitrine qui me fait terriblement souffrir. C'est bien pire qu'une crise d'angoisse. À chacune de mes respirations, mon coeur se contracte davantage. J'ai si mal que je crois mourir petit à petit. La souffrance est telle que pour l'instant, je n'ai qu'un seul souhait : disparaître pour qu'elle s'arrête.

Mais Thalya continue de se lamenter derrière la porte.

- Je t'en supplie, je peux t'expliquer ! Adélie, pitié, je t'aime ! Je sais que j'aurais sans doute dû t'en parler, mais j'avais tellement peur que tu ne comprennes pas.. S'il-te-plaît, ne m'abandonne pas ! Laisse-moi une chance de tout t'expliquer !

J'essuie rageusement mes larmes. Je me lève, hors de moi. J'ai rarement été aussi en colère. J'ouvre la porte, à la surprise de Thalya et d'Alycia.

- Je ne veux entendre aucune de tes excuses. Comme tu l'as déjà dit, je n'ai fait que te donner des secondes chances. Et tu m'as suffisamment bien montré que tu ne les méritais pas. C'est fini, Thalya. Je ne veux plus jamais te voir. Dans une semaine, tout au plus, j'aurai quitté l'appartement. Et tu ne me verras plus jamais.

Je referme la porte dans un claquement qui empêche Thalya de répliquer. Elle s'effondre en larmes, de l'autre côté du mur. L'entendre pleurer pour la première fois achève de me briser le coeur. Je m'assois sur mon lit, avant de plonger mon visage dans mes mains.

J'ai mal. J'ai terriblement mal. Je m'attendais au pire, mais sûrement pas à cette situation : Thalya qui répète à Alycia qu'elle l'aime, alors que je n'ai pas entendu un seul mot d'amour de sa part, depuis des semaines. La douleur est bel et bien insupportable, et les larmes ne cessent de couler. J'ai envie de rappeler Manon, de lui dire de faire demi-tour et de venir me chercher. Comme si quitter cet appartement, cette ville, pouvait changer quoi que ce soit à mes sentiments. Comme si je pouvais retourner en arrière, au lycée, entourée de mes meilleures amies, et ignorer ce qu'est l'amour, et à quel point il peut être douloureux.    

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