Je commençais à m'impatienter : ça faisait des heures que j'étais à l'affût de potins croustillants pour remplir un peu plus mon carnet. Je somnolais en désespérant de pouvoir écouter une "bonne conversation" quand j'entendis dans mon dos :
- Mais comment tu fais avec ta fille ? Moi je pourrais pas !»
Peut-être intéressant... Je me déplace discrètement de l'autre côté de la table pour leur faire face. Celle qui a parlé, une brune bien en chair, me tourne le dos mais je peux voir le visage de la mère : yeux verts, cheveux auburn courts et frisés, environ trente-cinq ans.
La trentenaire répond à son amie :
«Tu veux que je fasse quoi ?
- Je sais pas.... Moi je pourrais pas en tout cas.
- On ne m'a pas demandé si je pouvais moi. C'est tombé comme ça. Il faut l'accepter, c'est tout.
- Oui mais quand-même !
- Quand-même quoi ? Je vais pas l'enfermer à la maison ou la jeter à la poubelle !
- Ouais mais.... Ça va être dur.
- Ce sera sûrement plus dur pour elle que pour moi.
- Tu crois ?
- Oui. Elle n'a rien demandé. Elle n'a pas demandé à être comme ça.
- Mais toi non plus tu n'as rien demandé !
- Évidemment ! Qui souhaiterait que son enfant soit handicapé ?
- Personne...
- Voilà, personne. Mais quand le souci est là il reste, faut faire avec.
- Tu es certaine d'être prête ?
- Prête ?! Élever un enfant handicapé ne se prépare pas avec un concours ou une formation ! C'est la vie !
- Et comment elle s'appelle ? Tu me l'avais dit mais j'ai un trou de mémoire : ça fait tellement longtemps qu'on ne s'est pas revue !
- Depuis la naissance de la petite, donc quatre mois. Elle s'appelle Émilie.
- Emilie ? Vous n'aviez pas d'idée de prénom ?
- Bah si pourquoi ?
- Elle est née le jour de sa fête.
- Coïncidence. Hasard. Comme pour son handicap...
- C'est vraiment dommage que ce soit tombé sur vous....
La maman afficha une mine agacée. Je la comprenais. La connaissait-on, cette Émilie dont on jugeait déjà l'arrivée comme un désastre ?
Je ne suis personne pour parler du handicap, je n'y connais rien. Mais peut-être était-ce suffisamment préoccupant pour cette jeune mère, et suffisamment une joie pour que l'on parle ainsi.
C'est maladroit, et on pourrait penser que ce n'est pas important.Ce ne sont que des mots.
Mais les mots percutent et restent, j'en sais quelque chose : les miens restent.
Je suis une traqueuse de conversation.La mère se leva, et salua son hôte, la gratifiant d'un sourire poli. L'autre ne remarqua rien, mais il était évident qu'elle cherchait à fuir le reste de cette conversation sans but ni avancée.
________
Bonjour..
Ça fait longtemps.
Ça va vous ?
J'espère que vous serez au rendez-vous vous pour le retour inespéré de Gwendoline. :)Mais elle est bien de retour !
Prenez soin de vous.Quetzal.
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La traqueuse de conversations
Historia CortaJe m'appelle Gwendoline et j'ai une petite manie : depuis quelques années je m'amuse à noter scrupuleusement toutes conversations intéressantes que je surprends au bistrot dans mon petit carnet. Ça en fait des choses à raconter !