Sur la Lune

11 1 0
                                    

J'ai toujours aimé le son de la pluie qui résonne sur la roulotte de Grand-père. Il pleut tellement fort ce soir qu'on y voit rien par la fenêtre. On devait faire un feu, mais ce sera partie remise. À la place, c'est une traditionnelle soirée jeux de cartes à la lueur des chandelles. Ma tête est remplie de souvenirs de ce genre de soirée avec Grand-père. Je les collectionne précieusement dans ma tête. La compétition est vive et doit être prise au sérieux dans notre famille. En fait, nous sommes surtout de mauvais gagnants. On va se rappeler des fois où on a remporté la partie et ce pendant des années. Avant de commencer à jouer, on relate toujours nos vieilles victoires et suivi des vielles défaites de l'autre. On taquine ceux qu'on aime que Grand-père dit toujours.

-Hey Grand-père, je voulais te demander de me parler de Grand-mère un peu. Comment elle était? Dis-je en cachant très bien mon jeu de cartes.

-Haaaaaa c'est vrai que je n'en t'ai jamais vraiment parlé, mais je savais que la question te viendrait un jour aux lèvres. Je peux bien te raconter comment je l'ai rencontrée. La première fois que j'ai croisé ta Grand-mère, c'est encore à ce jour, l'un de mes plus beaux souvenir. Même la mort n'a pu me l'enlever. Elle ne pouvais pas, je me l'ai tant repassé dans ma tête...comme un film qu'on connaît sur le bout des doigts.

La plupart des jeunes jouaient au volley-ball cette journée-là. C'était le tournoi de Beach volleyannuel. C'était l'année 1960. L'ambiance était à la fête. Tu connais ton histoire. C'était une belle époque pour le Québec. Moi aussi, je participais à la compétition avec plusieurs de mes amis, dont Alfred. Après une mauvaise passe, le ballon a dévié pou rouler jusqu'à ta grand-mère. C'est à partir de ce moment que le film commence. Elle était assise sur une serviette à poids tout près d'un arbre. Elle avait un ruban rouge attaché d'un noeud dans ses cheveux. Ils étaient montés en chignon et seulement quelques couettes dépassaient. Le vent les faisait bouger de tout bord tout côté. Elle était tellement concentrée dans sa lecture qu'elle n'a même pas remarqué que le ballon était à proximité. Elle lisait un livre sur Abraham Lincoln. Je me suis excusé de la déranger en levant le ballon du sol. Je lui ai fait faire tout un saut. Elle a fait un petit cri pour ensuite éclater de rire réalisant la situation. J'ai ri aussi et je lui ai dit que j'étais également navré de lui avoir fait peur. Elle m'a lancé un sourire qui m'a déconcentré pour le reste de la partie. Alfred m'en veut encore qu'on a perdu cette année-là, mais il comprend pourquoi.

J'avais l'impression de connaître son sourire, comme si je l'avais déjà vu. Et ce regard...d'une profondeur incroyable. J'avais qu'une envie, c'était d'y plonger pour le reste de ma vie. Tu as le même d'ailleurs. À ce moment-là, la seule chose qui planait dans mon esprit était que je devais absolument lui demander son nom et son numéro. Elle a retourné à son livre et j'ai fait de même avec ma partie. À mi-chemin, je me suis retournée et je lui crié de me dire son nom. Elle a seulement souri à nouveau et a continué sa lecture.

-Alors? Qu'as-tu fait?

-J'ai terminé la partie avec elle dans mon esprit et quand j'ai voulu retourner la voir, elle avait disparue. Il ne restait que la trace de sa serviette dans le sable.

-Et alors? Dis-je avec la plus grande curiosité.

-Bien j'ai fais ce que je sentais au plus profond de mes tripes qu'il fallait faire. Je devais trouver qui elle était! J'ai questionné pratiquement toute la Ville afin d'obtenir seulement un nom. Je me doutais qu'elle devait être plus jeune que moi. J'ai feuilleté tous les albums des finissants des cinq années précédant ma cohorte en espérant trouver sa photo et son nom. C'est Madeleine qui l'a finalement aperçue faire du bénévolat au parc. Elle s'occupait en fait du club de lecture de la Ville. Alors, je me suis inscrit au club de lecture.

-TU AS FAIT QUOI!?

-Oui oui! Tu connais ton Grand-père, il a plus d'un tour dans son sac. Dit-il en riant faisant remuer du même coup sa moustache blanche.

C'était le meilleur moyen que j'ai trouvé afin de la voir chaque semaine. J'ai donc ainsi appris son nom et je crois que j'étais son meilleur élève. Après chaque activité, j'attendais que tout le monde quitte pour parler plus longtemps avec elle. Au début, on discutait seulement de suggestions de lecture, d'histoire et de la société en général. Au fil des rencontres, j'en apprenais davantage sur elle. J'ai appris qu'elle n'était pas du coin et que sa famille avait déménagé ici pour le travail. Je lui disais que je travaillais comme cuisinier au restaurant du coin. Je lui amenais d'ailleurs souvent du dessert qui restait. Elle avait la dent sucrée. Tu ne retiens pas du voisin ma belle Rose. Elle me racontait aussi sa vision de la vie, ce qu'elle aimait, à quoi elle rêvait... À chaque fois, je terminais en lui demandant de m'accompagner au cinéma ou à la plage, mais elle refusait toujours sous le prétexte qu'elle manquait de temps. Je pouvais bien le croire. Elle lisait toujours cinq à six livres en même temps. Elle avait aussi plus d'un tour dans son sac, mais elle ignorait encore à quel point j'étais persévérant.

-C'était quoi sa vision de la vie? Qu'est-ce qu'elle aimait et à quoi elle rêvait? Claire m'a dit qu'elle voulait voyager!?

-Elle...

-Quel pays voulait-elle visiter?

-...

Pourquoi il ne dit plus rien? Il ne me regarde même plus. Il fixe son jeu de carte et reste immobile. Il a le regard vide et triste.

-Grand-père?

-Je dois aller vérifier quelque chose au chapiteau. Tu devrais dormir... il est tard et tu travailles demain.

-Mais Grand-père? Tu ne veux pas terminer notre partie?

-Bonne nuit Rose! Dit-il d'un ton sec en laissant la porte se fermer brusquement.

Pourquoi ce revirement soudain? Tout allait bien pourtant. Est-ce que j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas? Peut-être que Claire a raison quand elle dit que l'absence de Grand-mère lui fait encore mal. Je me sens mal. Je ne voulais pas lui faire de peine. C'est la première fois que Grand-père est aussi froid avec moi. J'essayerai de m'excuser demain après le travail...

La pluie a cessé pour laissé place un ciel plus dégagé me permettant d'apercevoir la Lune. Sa lumière éclaire mon lit. Je repense à quand Maman me raconte que Grand-mère veille sur nous perchée sur la Lune. Je l'imagine assise dans le creux du croissant avec son ruban rouge. Elle a dû nous regarder ce soir. Elle doit bien être peinée que Grand-père porte en lui encore tant de tristesse. Comme Claire a dit, le deuil est comme le vent. Ce soir, ce n'est pas un souffle apaisant qui a dû traverser le coeur de Grand-père, mais bien un qui le fait basculer. Au moins demain je travaille avec James. Ça va me changer les idées. Il m'a invité à retourner à la plage secrète après le travail, mais juste nous deux cette fois-ci. Il m'a dit qu'il avait préparé une Beach playlist. J'ai bien hâte de l'entendre.

Je me demande si Grand-père va revenir bientôt? En espérant que Grand-mère veille sur lui de son perchoir lumineux.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Sep 06, 2018 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

ThérèseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant