Thérèse

Le bolide 75

Je ne peux pas croire que ça fait déjà deux semaines que je suis arrivée! Aujourd'hui, j'ai congé. C'est Marie-Soleil qui s'occupe de l'accueil pour la journée. Elle devrait être proche de terminer d'ailleurs. Nous sommes deux à s'alterner l'horaire. Marie-Soleil est un an plus vieille que moi. Elle est au Cégep en sciences natures. Elle rêve de faire sa médecine comme sa marraine qu'elle m'a dit. Sa famille est au camping tout l'été et elle y travaille pour se ramasser de l'argent afin de payer son appartement à Québec. Elle a tellement de bonnes notes, qu'elle a eu une bourse qui payera ses études. Je m'entends vraiment bien avec elle. En fait, elle est parfaite. Je ne lui ai pas encore trouvé de défaut. Tsé ce genre de personne que même quand elle fait son jogging...parce oui, elle se lève à 6h chaque matin pour un petit jog matinal au camping, bien elle a seulement deux ponettes rosées sur les joues. On dirait quasiment un mannequin dans une annonce de cosmétiques pour un blush. Même ses cheveux restent parfaitement en place et en plus, elle sent toujours la noix de coco. Moi après avoir fait dix minutes de marche rapide je suis une tomate suante qui a été oubliée dans le frigo depuis deux semaines. Je dois faire l'impossible pour avoir l'air un peu cute. Bon ok. Ma comparaison me dénigre beaucoup et est exagérée, mais je n'ai certainement pas l'air d'avoir un beau teint radieux comme Miss soleil. Mais elle me prépare toujours du café avant que j'arrive. Alors, je lui pardonne d'être aussi parfaite. Elle me le sert même ma tasse préférée, celle avec des images de Marilyn Monroe dessus. Parce que ce n'est pas assez, elle me colle toujours un post-it qui me souhaite de passer une belle journée accompagné d'un bonhomme sourire. Comment ne pas l'aimer cette fille? Moi je vote pour elle! Oh, j'ai mentionné qu'elle part à la relâche pour un voyage humanitaire? Alors, pour me faire sentir mieux, je pars bientôt donner de mon temps libre à Claire avec son jardin. Comme ça, je serai aussi une bonne humaine qui aide son prochain...en mangeant ses tomates cerises en même temps...je l'admets. Alors, disons que je serai une demi bonne humaine qui aide son prochain. Je n'y peux rien, c'est Claire qui insiste pour que je les mange. Marie-Soleil aurait probablement fait une sauce à spaghetti avec les légumes pour à l'offrir Claire et en aurait aussi fait une activité collective avec tous les enfants du camping. Ça aurait passé dans le journal du coin : « Une étudiante en médecine fait rayonner la vie des campeurs avec des légumes bio! » Mais bon, il faut bien commencer quelque part.

Son frère Marc aussi travaille au camping. Il est sauveteur à la piscine. Il a le même âge que moi je crois. Je ne lui ai pas encore beaucoup parlé puisque je ne fais que le croiser les matins que je travaille. La piscine est plus loin dans le camping juste à côté du grand chapiteau où il y a de la danse chaque jeudi soir. Je sais qu'il vient prendre son café chaque matin, alors je le respecte. Par contre, je le juge un peu parce qu'il met trois crèmes et trois sucres dedans. Ha oui! Il parle souvent d'entraînement avec Grand-père, alors j'imagine qu'il est sportif et à analyser son café... peut-être aussi un futur diabétique à 40 ans. Mais, je suis niveau un Sherlock Homes seulement. Je suis juste au deuxième épisode de la saison un sur Netflix de la série anglaise. Je ne maîtrise pas encore la technique d'analyse des individus du célèbre personnage, mais je me pratique avec les clients du camping. À la fin de l'été, je devrais être niveau Watson. Je vais peut-être pouvoir apprendre à le connaître plus samedi. Marie-Soleil et moi souhaitons aller faire un feu à ma plage secrète, qui ne sera plus très secrète après samedi. Marc a dit qu'il allait en parler à James. C'est l'autre sauveteur et aussi le petit-fils d'Alfred et Madeleine..donc aussi, mon voisin pour l'été. Il dort dans la cabane dans l'arbre derrière leur roulotte. Alfred m'a dit que James l'a fabriqué lui-même. C'est un vrai manuel selon Madeleine. D'ailleurs, il fait aussi des tâches pour Grand-père comme l'entretien du terrain. Aussi, depuis deux semaines, il a dû réparer au moins trois fois le scooter de Grand-père. Bon, il commence peut-être à avoir fait son temps, mais je suis bien contente parce qu'il me permet de me promener un peu. J'ai fait la blague à James que c'était le bolide de l'année, mais en 1975. Il a bien ri et depuis c'est comme ça qu'on surnomme tous le scooter : LE BOLIDE 75. J'ai raconté ça à Manue et elle dit qu'il a été gentil de rire parce que ce n'est pas si drôle. Elle a raison, mais ça m'a permis de voir qu'il a des fossettes comme Grand-père quand il sourit. Il a aussi les même yeux que Madeleine. Alfred dit qu'ils ont un regard d'émeraude. C'est ce qu'il l'a séduit en premier chez elle. Sa pierre précieuse depuis 60 ans qu'il s'amuse à dire. Je trouve ça mignon des couples âgés qui s'aiment encore comme au premier jour. Je me dis que ça ne doit pas être toujours facile de garder la flamme. La vie n'est pas un long fleuve tranquille comme me dit Grand-père. J'écoutais un documentaire sur la guerre du Vietnam l'autre jour...Il y avait un ex-soldat qui citait Victor Frankl. C'est un prof autrichien de neurologie et de psychiatrie. Il était aussi chirurgien. Bref, durant la seconde guerre mondiale, lui et sa famille ont été déporté dans des camps de concentration, dont Auswitchz. Il y a perdu ses parents et sa femme. Il a dit : « La vie c'est souffrir. Survivre c'est trouver une raison à cette souffrance. » Quand j'ai entendu ça, je crois que mes lunettes roses que je porte en permanence pour voir la vie ont éclatées en mille miettes. J'imaginais la peine qui devait étouffer son coeur. J'avais mal. Alors, quand je vois un couple âgé célébrer des décennies de mariage, ça m'impressionne toujours parce que je me dis qu'ils ont dû en traverser des choses et qu'il est là le vrai sens du fameux « pour le meilleur et pour le pire. » C'est comme quand Grand-père a perdu Grand-mère par la maladie. Je crois que son coeur sera à jamais fissuré...