La maladie

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Une seconde. Il ne faut qu'une seconde. Rien qu'une petite seconde pour que tout bascule. Pour qu'elle bascule.
Jusqu'ici, tout allait bien. Elle respirait bien. Elle riait, vivait. Et puis, en une seconde, tout s'est effondré. Elle s'est effondrée.

Comme tous les jours depuis un certain temps, elle regarde par la fenêtre, et elle voit toute cette neige. Qui recouvre les sapins, les voitures et la route. Cette neige qui semble tout effacer. Et elle prie, pour que la neige efface aussi sa maladie. Pour qu'elle efface ces derniers mois. Pour qu'elle puisse retourner dehors, courir, parler et se sentir vivante. Elle prie pour que ce calvaire s'arrête. Elle veut rentrer chez elle. Elle veut vivre comme tout le monde. Elle veut retourner à l'école, revoir ses amis, retrouver sa paisible existence.

La vie lui a fait un cadeau moins beau que les autres. Un cadeau dont elle ne voulait pas. Un cadeau de tristesse et de solitude. Le genre de cadeau qui vous isole du reste du monde. Le genre de cadeau qui pourrait bien être le dernier.

Elle a l'impression que c'était hier encore. Elle a l'impression qu'elle vient à peine de s'effondrer dans le jardin. Elle a l'impression qu'elle vient à peine de monter dans l'ambulance, et de voir toutes ses lumières chanceler au dessus d'elle. Elle a l'impression qu'elle vient à peine de s'effondrer. Mais elle est ici depuis plusieurs mois maintenant. C'est comme si le temps s'était suspendu. Comme s'il avait décidé de lui accorder une pause, histoire qu'elle se remette et qu'elle reprenne sa vie où elle l'avait laissé. Cependant ce n'était pas le cas. Le temps s'écoulait toujours, et elle s'en rendait compte à chaque fois qu'elle regardait par la fenêtre. L'été avait laissé place aux douces couleurs de l'automne, qui lui même avait laissé place au monotone hiver. Elle avait vu faner toutes les fleurs dehors, mourir chacune des feuilles d'arbres, en même temps que son cœur semblait sécher et agoniser. Comme si l'extérieur n'était qu'une copie de ce qu'elle vivait à l'intérieur.
Petit à petit, elle se sentit partir, abandonner. Elle ne comprenait pas tout, elle ne comprenait même rien. Depuis des mois, tout le monde autour d'elle semblait parler dans une langue qui lui semblait inconnue, pleine de mots compliqués et tranchants. Elle avait fini par ne plus écouter. Sa mère le faisait très bien pour elle. Et elle le fait toujours très bien.
C'est tellement plus simple pour elle de s'enfermer dans une bulle. Tellement plus simple de ne pas expliquer comment elle va. Puisqu'elle ne sait pas comment elle va. Tellement plus simple de ne pas s'adresser à ceux qui ne la comprennent pas. Ceux qui ne vivent pas ce qu'elle vit. Elle a déjà du mal à cerner ce qu'elle ressent. C'est comme un mélange sombre entre impatience, désespoir et solitude. Elle se sent désespérément seule, incomprise. Parce que personne ne sait ce que ça fait, à part elle. Parce que personne ne vit ce qu'elle vit. Elle ne sent loin de tout, et tout le monde.

Peu importe combien de sourire on lui offre, combien de mots doux on prononce. Peu importe combien de fois on la câline, peu importe combien de fois on tente de lui redonner des couleurs. Elle est pâle comme la neige, froide comme la glace. Elle est à des milliers de kilomètres de notre réalité. Et tout l'amour du monde ne peut pas réchauffer son cœur. Tout lui semble terne, froid, sans vie. Tout lui semble mort. Des draps blancs du lit, à la vieille télé qui grésille, en passant par cette odeur de propre. Comme si chaque recoin de la pièce était propre. Comme si chaque particule d'air était propre. Comme si la maladie n'existait pas. Mais elle est là. Partout, dans chaque cellule de son corps. Dans chacune de ses respirations, chacun de ses battements de cœur. Elle est là, et elle la dévore de toute part. Elle lui retire tout ce qu'elle avait : famille, amis, espoirs. Même ses souvenirs les plus simples. Comme celui de se sentir forte. Ou l'odeur de la maison. Toutes ces petites choses, qui font de ses souvenirs un endroit rassurant, s'effritent petit à petit. Elle ne se souvient plus de la couleur exacte de ses murs. Elle ne se souvient plus exactement de la douceur de son tapis. Elle ne se souvient plus vraiment de quel bruit les marches faisaient lorsqu'on les montaient. Elle ne se souvient plus vraiment de l'odeur de la lessive sur ses vêtements propres. Ou encore des rires et des conversations animées des places publiques. Elle ne se souvient plus du contact de ses doigts sur son livre préféré. Elle ne se souvient pas du goût des plats préparés le dimanche midi par son père. Elle ne se souvient plus de ce qu'était la vie avant, avant la maladie. Avant le lit d'hôpital. Avant la tristesse qui transpire dans les regards et les voix de ses proches. Avant cette peur qui lui noue le ventre et lui serre la gorge. Avant cette grande solitude qui la noie a l'intérieur. Avant cette pression intérieure, qui grandit encore et encore. Avant de se sentir uniquement malade, et rien d'autre. Comme si c'était le seul mot qui lui correspondait.
Chaque instant qui passe, elle se demande si la mort la rattrapera. Ou si elle lui échappera une nouvelle fois. Et jusqu'à quand elle aura à la fuir.

Et comme chaque journée, elle s'enroule dans cette couette froide, râpeuse. Et elle attend. Elle attend que la vie reprenne son court.
Elle pleure souvent, mais elle ne se cache plus. Elle a besoin qu'on la réconforte, mais aucuns bras ne la serrent suffisamment pour lui redonner vie. Elle se sent désespérément seule, isolée, différente.
Elle se sent désespérément malade.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 08, 2018 ⏰

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Le temps d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant