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« J'observe la table où cinq garçons sont assis, mangeant tranquillement leur repas de midi. Ils discutent, s'amusent, rigolent comme à leur habitude. Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a quelque chose d'étrange; un élément qui manque au tableau.

Jimin n'est pas là.

Pourtant, il était en cours ce matin, et j'en suis sûr, puisque j'ai passé l'heure entière d'Histoire à le regarder.
Il avait l'air fatigué, plus pâle qu'à l'accoutumée. Néanmoins, il il a travaillé hardiment, a noirci sa feuille de notes, a levé la main à chaque question posée par le professeur.

Je soupire, pose ma fourchette sur mon plateau, à côté de mon assiette toujours remplie.
Je n'ai pas faim.

J'hésite un peu, me décide finalement. Alors je me lève, dépose mon repas sur le lieu prévu à cet effet, et me dirige d'un pas appuyé vers leur table.

Ils ne me connaissent pas vraiment; pourtant, ils se taisent et me sourient poliment quand je me tiens devant eux.

Vous savez où est Jimin?

C'est un roux qui me répond.

— À la bibliothèque.

Je les remercie et pars, ignorant les regards curieux qui coulent dans mon dos.

Lorsque je pousse les portes de la large salle d'étude, un silence apaisant m'accueille. Saluant d'un signe de tête la bibliothécaire, je m'avance parmi les rangées de tables et de livres, cherchant du regard le garçon divin.

Je le vois enfin, caché entre deux hautes et imposantes étagères, tout au fond de la pièce, dans un coin.
Du papier est éparpillé un peu partout sur le bureau qu'il occupe, et un ordinateur portable est allumé devant lui.
Il a les coudes posés sur le bois de la table, sa tête enfouie entre ses mains, et il ne bouge pas.

Mon cœur se serre un peu.

Je lui lance une barre chocolatée et il lève la tête soudainement, me permettant d'observer les cernes noires sous ses yeux.
Il regarde l'aluminium coloré de l'aliment avant de revenir à moi.

On ne peut pas manger à la bibliothèque.

Alors sois silencieux.

Je le vois hésiter, jeter des regards affamés vers le chocolat, et il finit par céder à la tentation.
Je m'assois à ses côtés et il tourne la tête, peut-être gêné.
Le silence revient, brisé uniquement par ses discrets bruits de mastication.

Je m'intéresse alors à la page ouverte sur son ordinateur.
Une liste d'études disponibles dans une université connue, à l'étranger.

Tu veux étudier quoi?

Je ne sais pas.

Oh.

Il m'évite toujours, alors je laisse mon regard se balader sur les feuilles qui traînent sur la table, sur les phrases écrites en rouge et les mots surlignés en jaune.

Tu as quelques idées?

Non.

Son poing se serre abruptement autour de l'emballage coloré et le froissement provoqué retentit dans la salle.

Je fixe à présent Jimin, qui est toujours tourné vers la fenêtre, ses yeux se perdant au loin.
Son visage est inexpressif.

Si différent du sien.

Je sors un paquet de bonbon de mon sac et le pose sur le bureau.»

— J'ai l'impression que le temps avance sans moi. Que les aiguilles de l'horloge tournent trop vite et que je n'arrive pas à les rattraper. J'ai l'impression que la vie continue normalement pour toutes les personnes autour de moi et que je suis le seul à rester à ma place, et j'ai beau courir, courir aussi vite que je peux, je ne bouge pas.

Ses bras se serrent davantage autour de ma taille, et je continue à caresser ses cheveux dans des gestes que j'espère apaisants.
Je le laisse parler, exprimer ce qu'il a gardé pour lui pendant trop longtemps.

— Et il y a des jours où j'ai l'impression que les murs se referment sur moi, que l'air est trop dur à respirer, que je ne contrôle plus rien.

Il renifle.

— Mais tu sais ce qu'est le pire? Tout le monde à l'air si normal, si détendu, si prêt à affronter le futur, comme si à la fin de l'année, on n'allait pas se quitter, on n'allait pas disparaître chacun de notre côté, on n'allait pas abandonner toutes les choses qu'on a construit pendant toutes ces années.

Il desserre légèrement son emprise, marque une pause.

— Et les gens continuent à rire, et les gens continuent à rêver, et les gens continuent à vivre, alors que je crève chaque jour un peu plus.

Il lève son visage vers moi.

— Leurs vies continuent alors que la mienne semble s'être arrêtée, putain.

Ne m'oublie pas ʸᵒᵒⁿᵐᶦⁿOù les histoires vivent. Découvrez maintenant