Partie 2

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Je regarde la route alors que nous sortons de la ville. Nous empruntons un bout de nationale pour ensuite nous engager sur des petites routes départementales. Je vois défiler des noms de villages inconnus et nous nous enfonçons un peu plus dans la ruralité. Je ne pose pas plus de questions, je sais que c'est inutile. Je le connais, Fred ne dira rien. Il finit par nous arrêter devant une maison au bord de la route principale d'un charmant village fleuri. La cour de la maison déborde de meubles, de sacs... Le garage est ouvert en grand et un homme s'affaire à l'intérieur. Nous sortons et nous nous approchons du portail.

— Monsieur Hingray ?

L'interpellé se retourne et je me stoppe. Je ne m'attendais pas à avoir affaire à un homme d'une trentaine d'années ! La maison est bien plus âgée que lui et il y a tellement de désordre que... je ne sais pas je m'attendais à un vieil homme déménageant pour la maison de retraite ou... Bon en fait, je ne sais pas ce que je m'imaginais, mais certainement pas de me retrouver face à un tel homme. Celui-ci nous dévisage un instant, puis un sourire étire sa bouche, et je suis fascinée par son magnifique visage. Je continue à le détailler, sans gêne, ou plutôt sans réflexion. Je suis loin, je suis partie dans mes songes, dans mes fantasmes, dans mon monde où cet homme y trouverait sa place sans aucun problème.

— Antoine. Appelez-moi Antoine. Quand j'entends Monsieur Hingray, j'ai toujours l'impression que l'on s'adresse à mon père.

— Comme je vous comprends ! Répond Fred gaiement.

Celui-ci ouvre le portail et entre dans la cour. Je suis ses pas comme un automate, toujours bloquée sur le visage de notre hôte.

— Nous nous sommes eu tout à l'heure au téléphone à propos de la voiture en vente.

— C'est ce que je pensais.

Il se frotte les mains et vient à notre rencontre. A aucun moment,  son regard ne se pose sur moi. Il est bloqué sur mon frère et ils ont tous deux entamé une conversation. J'entends vaguement leur échange. Je suis physiquement là mais mon esprit est ailleurs et je n'ose même pas penser à l'image qu'il a de moi. Je fais potiche, incapable d'aligner  un mot, la bouche en cul de poule, les yeux ronds et le corps en retrait derrière mon frère qui prend toutes les initiatives.

— Suivez-moi, la voiture est derrière.

Je marche, c'est déjà bien j'arrive à aligner deux pas sans m'effondrer par terre. Reprends-toi bon dieu Ém ! Ce n'est qu'un mâle gâté par la nature ! Mais alors sacrément gâté !

La voiture se profile dans la seconde cour derrière la maison. A cet endroit, il y a moins de désordre. J'entends Antoine (bah oui il nous a bien demandé de l'appeler par son prénom, non ?) nous expliquer pourquoi il l'a mise en vente.

— Tout appartenait à  mon père. Il est décédé il y a plusieurs mois et je n'ai jamais pris de temps de m'occuper de ses affaires. J'ai pris plusieurs jours de congés pour venir car je n'habite plus la région, mais à mon départ, la maison doit être vide et prête à être mise en vente. La voiture doit partir ainsi que les meubles... Bref je ne m'ennuie pas.

— Navré de vous dire ça, mais ça nous va bien. La voiture de Ém vient de la lâcher et il lui en faut une rapidement.

L'homme daigne enfin me jeter un œil. Son expression me semble plus froide qu'envers mon frère. Je suis déçue, encore des fantasmes qui n'aboutiront pas ! Je maintiens malgré tout son regard, qui n'est ni doux, ni dur, juste...insignifiant. Je tente un sourire. La voix de Fred s'élève entre nous.

— Je peux ?

Il s'est approché du véhicule et a déjà la main sur la portière.

— Je vous en prie. Elle est en super état. Il en prenait soin : nettoyage tous les dix jours, intérieur comme extérieur. Toutes les révisions et tous les entretiens ont été effectués au garage, j'ai les factures à l'appui si vous voulez.

— Hum... pas forcément. Je vais jeter un œil. Je m'y connais pas mal en moteur.

— Alors je vous laisse faire, vous en savez plus que moi.

Mon frère disparait derrière le capot relevé en nous laissant planter comme deux idiots. Antoine semble gêné par ma présence. En même temps, ce n'est comme si j'étais entreprenante, je ne sais même pas quoi lui dire. « Quel âge avez-vous ? Vous avez toujours été aussi beau ? Etes-vous mariés ?... » Voilà les seules interrogations qui me viennent à l'esprit. Pas sûre qu'il apprécie, nous ne sommes pas venus pour ça !

— Ca m'a l'air parfait !

Fred referme le capot et se frotte les mains avant de poursuivre.

— Est-ce que nous pouvons l'essayer ?

— Bien sûr, je vais chercher les clés.

Aussitôt dit, aussitôt fait et Antoine repart en direction de la maison. Fred attend qu'il ait complétement disparu de notre champ de vision avant de reprendre la parole.

— Qu'est-ce que t'en dis Ém ?

— Hum... Je ne sais pas, c'est toi l'expert. Si tu me garantis que dans cinq mois, je n'ai pas une panne et une facture équivalente à trois mois de courses, ça me va.

— Non, c'est vraiment une super opportunité. Comme il l'a dit, elle est super bien entretenue et elle a très peu de kilomètres. Si c'était un vieux, t'auras peut être l'embreillage à changer, mais ça je m'en charge, t'inquiète pas !

Nous entendons les pas d'Antoine revenir vers nous et nous nous taisons. Comme si c'était évident, il tend les clés à Fred qui s'empresse de les saisir. Au même instant, la sonnerie du téléphone portable de mon frère retentit. Il le sort de sa poche arrière et à la grimace qui déforme son visage, je devine qu'il doit s'agir d'une urgence.

— Tiens la naine, vas-y !

Il me lance le trousseau que je saisis à la volée.

— Il faut vraiment que je prenne cet appel. Ça vous embêterait d'y aller avec elle ? Je reste ici en attendant.

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