Chapitre 40 (4/4)

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Oward soupira. Il se leva, son fauteuil en cuir craquelé crissa, et il se dirigea vers une console en bois sombre. Se penchant, il sortit d'un placard une bouteille au liquide ambré.

Lorsqu'il se rassit, il vida sa tasse de café froid d'un trait et se versa ensuite deux doigts de liqueur.

— Il n'a pas eu une belle mort. Ni propre, ni rapide, ni à envier. Comme tu avais coupé tout contact avec lui à cette époque, et que ça faisait belle lurette que ta mère s'était éclipsée, il ne lui restait plus que moi. C'est moi qui suis allé à la morgue pour dire si le cadavre retrouvé était bien celui de mon frère ou non. Il l'était bel et bien.

— Oward... souffla Indigo. Je suis navrée.

— Il... (Il secoua la tête et vida de nouveau sa tasse.) C'était une boucherie, mais je vais t'épargner les détails sanglants.

En sentant la crispation de la jeune femme, Wraith essaya de s'introduire dans son esprit pour en connaître la raison, mais elle avait bien intégré leurs leçons précédentes, et un mur infranchissable entourait désormais son esprit. C'était une bonne chose, mais Wraith en fut quelque peu agacé. Sa femelle allait mal, et il ne parvenait pas à connaître l'origine de ce mal-être.

— C'est moi qui aurais dû vivre cette épreuve, réalisa soudain Indigo.

Oward secoua doucement la tête, et tendit la main comme pour toucher le genou de la jeune femme, mais Wraith, assis volontairement entre eux deux, les séparait. L'oncle se rétracta alors et laissa retomber son bras flasque.

— Ne dit pas n'importe quoi.

— Si, souffla-t-elle en plongeant son regard dans celui de son oncle. Je ne lui parlais plus pour une raison futile. Après l'année que j'ai vécu avec toi, je suis allée chez mon père, mais ce n'était pas terrible car il n'était jamais là, toujours en déplacement, et il rentrait parfois blessé. Je n'ai jamais fait le rapprochement, ça ne m'a même jamais effleuré l'esprit... (Elle ferma les paupières, si fort qu'un pli apparut entre ses sourcils. Quand elle rouvrit les yeux, ils étaient brillants. Elle parlait d'un ton monocorde, hanté, le regard fixé au sol, comme si elle revivait les scènes clés de son enfance.) Au début, il me disait qu'il était tombé, qu'on l'avait salement amoché à son cours de boxe, ou même que c'était un accident. Puis après, c'était de pire en pire, et il m'envoyait dans ma chambre quand je lui demandais ce qu'il lui était arrivé. Plus tard, peu avant que j'aille habiter avec grand-père, il ne venait même plus me voir ; j'était déjà dans ma chambre car je savais qu'il allait rentrer blessé, mais il ne venait même pas me chercher, ni même me souhaiter une bonne nuit. J'avais l'impression d'être inexistante. Une fois chez grand-père, il n'est pas venu me voir une seule fois. N'a pas demandé de nouvelle. Il devait être heureux d'être libéré de moi.

— Ce n'était pas ta faute, dit doucement Oward.

Elle redressa vivement la tête, des larmes aux coins des yeux.

— Mais il restait quand même mon père ! (Par Tunghlad, sa voix était brisée. C'était un spectacle horrible. Wraith n'était pas certain de réussir à rester calme le temps que cette discussion prenne fin.) J'aurais dû continuer à prendre soin de lui, reprit-elle, au lieu de m'éloigner de lui. Même s'il ne voulait pas me dire ce qu'il lui était arrivé, j'aurais dû l'aider à se soigner, lui montrer que j'existais...

— Non, mea, intervint Wraith quand il ne parvint plus à supporter la douleur et la détresse qui s'échappait d'Indigo par vagues successives. C'était quand même un mauvais père – et tu sais que j'en connais un rayon sur les mauvais pères. Tu n'as pas à te blâmer. Ce qui lui est arrivé n'est que la répercussion de ce qu'il faisait. C'était son choix. Quand on s'engage dans ce genre de choses, on connait les risques et leurs conséquences. Là, encore, continua-t-il en empruntant le pont qui liait leurs esprits, je sais de quoi je parle.

Malgré le regard vide et triste qu'elle lui renvoya, il comprit qu'elle avait saisi la référence à la Confrérie et aux risques que lui-même prenait tous les jours.

— J'ai l'impression d'avoir été une fille minable. (Irrépressibles, les sanglots montèrent et s'entendirent dans sa voix, rendant son ton vacillant.) Mon père est mort, et j'ai été hautaine, indifférente ! C'est... c'est impardonnable.

Elle plongea la tête dans ses mains, les coudes appuyés sur ses genoux. Oward lui tendit un mouchoir en tissu, qu'il sortit d'un pli du fauteuil. Les longs cheveux d'Indigo se déployaient autour d'elle, et cela ne la rendait que plus fragile, alors qu'elle était recroquevillée sur elle, la tête basse.

— Sèche tes larmes, ma petite. (Indigo l'ignora superbement, mais Wraith était trop touché par sa détresse pour s'en réjouir.) Ce n'était en rien ta faute, et le passé est le passé. Il faut plutôt aller de l'avant. Maintenant, dis-moi pourquoi tu souhaitais savoir cela.

— Elle reçoit des menaces, répondit à sa place Wraith. Liées aux dettes son père, précisa-t-il.

— Seigneur Jésus Marie Joseph, souffla Oward, statufié, sa main toujours en l'air.

Il resta dans cette position un certain moment, puis il sembla se dégonfler et se laissa choir dans son fauteuil. Il plaça son avant-bras sur ses yeux et ce geste fit tomber son bonnet de nuit ridicule. Wraith fut sur ses jambes en moins d'une fraction de seconde, devant Indigo en une position protective. Sa réaction était un peu excessive, mais il préférait passer pour un humain peureux qu'un démon effondré de ne pas avoir pu sauver sa compagne à temps. Au moins, il fut certain qu'Oward ne cachait pas de grenade sous son bonnet non plus.

Malgré son bond de deux mètres, Indigo n'avait pas esquissé un seul mouvement, n'avait pas redressé la tête, rien.

Pour ce qu'il lui paru la première fois depuis le début de la soirée, Oward lui lança un regard, il le regarda. Le regarda vraiment.

— Une araignée, précisa Wraith, le mensonge lui brûlant la langue. Elle m'a fait peur. J'aime pas ça, marmonna-t-il en se rasseyant.

Oward continua son expectation, et ses yeux exprimèrent autre chose l'espace d'un instant, mais ce fut si bref que Wraith n'en fut pas certain.

— Tu la protèges, n'est-ce pas ?

Indigo renifla bruyamment, sans pudeur, et Wraith entoura ses épaules d'un bras protecteur. Elle se redressa et nicha aussitôt sa tête dans son cou, et il fut heureux de la sentir le respirer, comme pour prendre des forces grâce à sa seule odeur. D'une main douce, il repoussa les cheveux collés par ses larmes sur ses tempes, et les replaça derrière son oreille.

— Toujours, répondit Wraith.

Il essuya de son pouce une larme qui commençait à se former au coin l'œil d'Indigo. Elle lui lança un regard reconnaissant, renifla encore et cacha de nouveau sa tête dans son cou. Il enveloppa l'arrière de son crâne avec la paume de sa main, comme pour faire fusionner son corps avec le sien.

Détournant les yeux de son alter ego, il regarda attentivement Oward. Puis il ajouta :

— Au péril de ma vie, s'il le faut. 


***

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Et bon, je l'avoue, ça me ferais très plaisir si vous le faisiez  ! (je me rends compte que cette conjugaison du verbe faire est très très laide, donc je me demande si je ne me suis pas planté, pour le coup...  XD)

A très bientôt ! 

Grosses bisouilles sur votre... front :D

Anas

Au Cœur des Flammes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant